Nous prenons le chemin du fils cadet qui demande son héritage et ne veut plus reconnaître le père, mais seulement l’avenir qu’il se crée lui-même.
Si nous nous joignons au pèlerinage des siècles qui cherche à gaspiller ce qu’il y a de plus beau en ce monde pour le Roi nouveau-né, nous ne devons pas oublier qu’Il vit toujours dans une étable, en prison ou dans les favelas, et que nous ne le louons pas si nous n’aimons pas l’y trouver.
Avant même toute pensée vers soi-même, avant tout désir, l’existence de l’être aimé rend heureux, elle est un « oui » à ce Tu. Dans un second temps (non temporel mais concret) celui qui aime découvre ainsi – parce que l’existence du Tu est bonne – que sa propre existence est devenue plus belle, plus précieuse, plus heureuse. Par le « oui » à l’autre, au Tu, je reçois mon Je de façon nouvelle et peux à mon tour dire « oui » de manière nouvelle à mon Je – à partir du Tu.
Celui qui aime dit un “oui” absolu à l’être aimé. Il ne l’aime pas pour telle ou telle qualité, mais il aime la personne en elle-même ; certes, elle se révèle par ses qualités, mais elle représente pourtant plus que leur somme.
L’homme est un être doué de parole et d’amour, un être qui va vers les autres, voué à se consacrer aux autres et il se retrouve réellement dans l’acte de vrai sacrifice.
Aimer signifie en réalité être dépendant de ce qui peut m’être enlevé ; c’est un énorme risque de souffrance dans ma vie. De là vient alors le refus explicite ou non exprimé : je préfère, avant de prendre ce risque permanent, être limité dans mon autodétermination, avant de dépendre de ce dont je ne peux disposer et de pouvoir soudain me précipiter dans le néant – renoncer à l’amour.
Faire croire que l’on peut devenir un homme sans se vaincre soi-même, donner l’illusion qu’il n’est pas nécessaire de tenir ses engagements et de supporter patiemment les tensions entre ce que l’on devrait être et ce que l’on est vraiment, voilà ce qui est, pour une grande part, responsable de la crise actuelle. Un homme à qui on ôte toute peine et qui s’échappe au pays de cocagne perd son identité et se perd lui-même. De fait, l’homme ne peut être sauvé que par la Croix. Toutes les offres qui promettent le salut à meilleur prix échoueront et se révéleront trompeuses.
Chaque fois que nous croyons être absolument indispensables, chaque fois que nous pensons que le monde ou l’Eglise dépendent de notre agir incessant, nous nous surestimons. Dans le monde occidental, l’affairisme est la seule attitude défendable. En revanche, regarder, s’étonner, se recueillir, faire silence semblent indéfendables ou, du moins, excusables. Ainsi s’atrophient les forces vitales de l’homme.
Dieu se cache. Il ne nous éblouit pas de l’éclat de sa gloire ; il ne nous fait pas plier les genoux devant sa puissance. Il veut qu’entre lui et nous se réalise le mystère de l’Amour, qui présupposent la liberté.