Dans mon enfance, c’est à travers des réprimandes puis des conversations et des échanges que j’ai reçu lettre à lettre les commandements. Je me suis conformé à ce qu’il me paraissait bon d’imiter, pour plaire à mes parents, puis à mes professeurs et, enfin, à mes semblables. D’abord, j’ai imité ; ensuite j’ai adopté des attitudes. Les commandements font partie de moi, comme la racine conduit à l’arbre. Je les ai assimilés. Ils sont le socle de la plupart de mes actes. Aujourd’hui, je ne m’en rends même plus compte : tout cela, je l’observe. Dans ma conduite de tous les jours, je m’efforce d’être loyal, franc, équitable, comme par réflexe. Et pourtant quelque chose manque. Je suis imprégné, pas enflammé. Il n’y a pas dans la loyauté, ma franchise, mon équité cette plénitude qui est l’apanage de la vie éternelle. Parce qu’elles sont bien souvent que l’expression des commandements et non celle de l’amour. Ce n’est pas cette sève qui alimente mes actes. Les racines sont bien là, qui me tiennent debout, mais la vie n’alimente pas toujours mes actes, mes échanges, mes relations.
J’éteignis la lumière avec cette prière : « Seigneur, c’est dur de faire le deuil de la perfection. J’aimerais trouver ce lieu que tu appelles le Royaume. Et si, je ne peux pas en recevoir d’avant-goût aujourd’hui, je t’en prie, montre m’en le chemin. »
J’ai appris que mon horizon, c’était de toucher terre. Tu me l’as montré, Seigneur : un véritable chemin d’incarnation passe par la terre. Apprendre à assumer chaque parcelle d’humanité en soi. Accepter aussi les limites, les cavernes profondes et les béances de l’âme comme matière première pour Ton oeuvre. Renoncer à la perfection ici-bas, sans pour autant l’ôter de notre champ de vision. C’est à ce prix que l’on pourra agir, creuser, créer, bâtir, élever. Mourir en terre, comme ce fameux grain de blé, qui doit donner du fruit. S’ouvrir au monde en s’oubliant, sans crainte aucune pour sa vie. Accepter de mourir, véritablement. Pour renaître à autre chose. Voilà un véritable chemin de résurrection.
Je vivais depuis des années dans la crainte et la toute-puissance. J’avais de grands biens spirituels, mentaux, affectifs. Et je les stockais pour moi. Ils représentaient un investissement sur mon avenir et la ruine de mon présent. J’avais trop de projets, trop d’ambition, je voulais tout contrôler. J’avais beaucoup reçu et je donnais peu. Tout cela pourrissait lentement dans une cage à vertus que j’avais fabriquée dans mon cœur. Comme elle avait l’apparence des commandements et l’odeur des valeurs dominantes, je pouvais montrer le masque de la perfection. Et pourtant, depuis des années déjà, la sève en moi n’avait plus sa source dans le cœur.