Le monde qui nous entoure ne nous apprend pas à mourir. Tout est fait pour cacher la mort, pour nous inciter à vivre sans y penser, sur le mode du projet, tendus vers des objectifs à atteindre, soutenus par des valeurs d’effectivité. Il ne nous apprend pas davantage à vivre. Tout juste à réussir dans la vie, ce qui n’est pas la même chose. Il s’agit de “faire” de plus en plus, d’”avoir” de plus en plus, dans une course effrénée vers un bonheur matériel dont nous finissons un jour ou l’autre par nous apercevoir qu’il ne suffit pas à donner un sens à nos existences. C’est ainsi qu’on recueille parfois de la bouche d’agonisants révoltés, amers, cet ultime regret d’être passé à côté de l’essentiel. Il ne faut pas être particulièrement religieux pour sentir que nous ne sommes pas sur terre pour passer notre vie à produire et à consommer.
La peur d’assister à sa dégradation physique et peut-être mentale, la peur de perdre une certaine image de soi à laquelle on s’était identifié. Celle de perdre le contrôle des choses, de devenir dépendant, de perdre son autonomie, d’être à la merci des autres. Mourir, c’est perdre tout cela, et, pour certains, ces pertes à vivre sont bien plus redoutables que la mort elle-même.
Car, pour les vivre, il faut sentir que l’on est aimé au-delà des fonctions ou de l’image auxquelles on s’était identifié. Et souvent cette confiance dans l’amour manque. Il y a donc à la racine de la peur de la mort une peur d’aimer ou de se laisser aimer.
Nous avons oublié qu’au moment de la mort nous serons jugés, non par un regard de juge, mais par un regard d’enfant. Ce regard d’enfant est d’ailleurs beaucoup plus terrifiant, car il est celui de l’innocence, et, devant cette innocence, nous voyons à quel point nous n’avons pas aimé l’amour, à quel point nous n’avons pas aimé la vie…