Le don
Je désire te faire un don, mon enfant, car la vie nous emporte à la dérive.
Nos destinées nous sépareront, nos amours seront oubliées.
Sans doute, je n’ai pas la naïveté d’espérer que je pourrais acheter ton coeur avec mes cadeaux.
Jeune est ta vie, longue ta route ; d’une seule gorgée tu bois la tendresse que nous t’apportons, puis tu te détournes et fuis loin de nous.
Tu as tes jeux et tes compagnons. Qu’importe si tu ne nous consacres ni temps ni pensée ?
Mais à nous la vieillesse donne le loisir de compter les jours d’autrefois, de choyer dans nos coeurs ce que nos mains ont perdu pour jamais.
Le fleuve rapide coule en chantant et brise devant lui tous les obstacles. Mais la montagne immobile le suit avec amour et garde le souvenir du passé.
Le dernier contrat
“Je suis à louer, engagez-moi !” voilà ce que je criais au matin, en longeant la route pavée.
L’épée à la main, le roi passa sur son char.
Il mit sa main dans la mienne et me dit : “Je te prends à mon service ; en échange tu auras part à ma puissance.” Mais je n’avais que faire de sa puissance et je le laissai partir dans son char.
A l’heure brûlante de midi, toutes les maisons étaient closes.
J’errais le long des chemins tortueux.
Un vieillard s’approcha portant un sac rempli d’or. Il s’arrêta pensif, puis me dit : “Viens, je te prends à mon service. Avec cet or je te paierai.” Il se mit à compter ses pièces une à une, mais je me détournai.
C’était le soir. La haie du jardin était tout en fleurs.
Une belle jeune fille s’approcha et me dit : “Je te prends à mon service et je te paierai d’un sourire.”
Mais son sourire s’évanouit, elle fondit en larmes et, solitaire, rentra dans l’ombre.
Le soleil étincelait sur le sable, les vagues déferlaient capricieuses.
Un enfant, assis sur la grève jouait avec des coquillages.
Il leva la tête et sembla me reconnaître : “Je te prends sans rien en échange”, fit-il.
Et depuis ce marché, conclu en jouant avec un enfant, je suis devenu un homme libre.