Paris, coll. « Poésie », Gallimard, 1963.

Rabindranath Tagore (1861-1941) est un compositeur, écrivain, dramaturge, peintre et philosophe indien. Il reçoit le Prix Nobel de littérature en 1913.


LVIII

Un matin, dans le jardin, une enfant aveugle vint m’offrir une guirlande posée sur une feuille de lotus.
Je la mis autour de mon cou et des larmes vinrent à mes yeux.
J’embrassai l’enfant et je lui dis : Tu es une fleur et les fleurs sont aveugles : tu ne peux connaître la beauté de ton présent. p. 101.


LIX

O femme tu n’es pas seulement le chef-d’œuvre de Dieu, tu es aussi celui des hommes : ceux-ci te parent de la beauté de leurs coeurs.
Les poètes tissent tes voiles avec les fils d’or de leur fantaisie ; les peintres immortalisent la forme de ton corps.
La mer donne ses perles, les mines leur or, les jardins d’été leurs fleurs pour t’embellir et te rendre plus précieuse.
Le désir de l’homme couvre de gloire ta jeunesse.
Tu es mi-femme et mi-rêve. p. 102.


LXXV

Un homme voulait se faire ascète. Une belle nuit, il déclara :
« Le moment est venu pour moi d’abandonner ma demeure et de chercher Dieu. Ah ! qui donc m’a retenu si longtemps ici dans les trompeuses illusions ? »
Dieu murmura : « Moi » ; mais l’homme ne compris pas.
Il dit : « Où es-tu, Toi qui t’es joué si longtemps de moi ? »
A ses côtés sa femme était paisiblement étendue sur le lit, un bébé endormi sur son sein.
La voix reprit : « Dieu, il est là », mais l’homme n’entendit pas.
Le bébé pleura en rêve, se pelotonnant plus près de sa mère.
Dieu ordonna : « Arrête, insensé, ne quitte pas ta maison » – mais il n’entendit pas encore.
Dieu soupira et dit avec tristesse : « Pourquoi mon serviteur croit-il me chercher quand il s’éloigne de moi ? » p. 124.