Paris, coll. « Agora », Plon, 1988.

Simone Weil (1909-1943) est une philosophe humaniste française. Elle est l’une des rares philosophes à avoir tenté de comprendre la condition ouvrière par l’expérience concrète du travail en milieu industriel et agricole. Successivement militante syndicale, proche ou sympathisante des groupes révolutionnaires trotskystes et anarchistes et des formations d’extrême-gauche, mais sans toutefois adhérer à aucun parti politique, puis engagée dans la Résistance au sein des milieux gaullistes de Londres, Simone Weil prend ouvertement position à plusieurs reprises dans ses écrits contre le nazisme, et n’a cessé de vivre dans une quête de la justice et de la charité. Née dans une famille alsacienne d’origine juive et agnostique, elle se convertit à partir de 1936 à ce qu’elle nomme l’« amour du Christ », et ne cesse d’approfondir sa quête de la spiritualité chrétienne. Bien qu’elle n’ait jamais adhéré par le baptême au catholicisme, elle se considérait, et est aujourd’hui reconnue comme une mystique chrétienne.


« J’avais faim et vous m’avez secouru. » Quand donc, Seigneur ? Ils ne le savaient pas. Il ne faut pas le savoir.
Il ne faut pas secourir le prochain pour le Christ, mais par le Christ. (…) D’une manière générale, pour Dieu est une mauvaise expression. Dieu ne doit pas se mettre au datif. pp. 99-100.


Le faux Dieu change la souffrance en violence. Le vrai Dieu change la violence en souffrance.
La souffrance expiatrice est le choc en retour du mal qu’on fait. Et la souffrance rédemptrice est l’ombre du bien pur qu’on désire. pp. 134-135.


L’extrême grandeur du christianisme vient de ce qu’il ne cherche pas un remède surnaturel contre la souffrance, mais un usage surnaturel de la souffrance. p. 146.


L’illusion constante de la Révolution consiste à croire que les victimes de la force étant innocentes des violences qui se produisent, si on leur met en main la force, elles la manieront justement. Mais sauf les âmes qui sont assez proches de la sainteté, les victimes sont souillées par la force comme les bourreaux. Le mal qui est à la poignée du glaive est transmis à la pointe. Et les victimes, ainsi mises au faîte et enivrées par le changement, font autant de mal ou plus, puis bientôt retombent.
Le socialisme consiste à mettre le bien dans les vaincus, et le racisme, dans les vainqueurs. Mais l’aile révolutionnaire du socialisme se sert de ceux qui, quoique nés en bas, sont par nature et par vocation des vainqueurs, et ainsi elle aboutit à la même éthique. pp. 69-70.


Les travailleurs ont besoin de poésie plus que de pain. Besoin que leur vie soit une poésie. Besoin d’une lumière d’éternité.
Seule la religion peut être la source de cette poésie.
Ce n’est pas la religion, c’est la révolution qui est l’opium du peuple.
La privation de cette poésie explique toutes les formes de démoralisation. p. 274.