Une nation ou un Etat qui ne renferme en soi aucune idée universelle n’est pour l’essentiel qu’une grande société anonyme, avec des millions d’actionnaires, ou peut-être même avec fort peu, si l’on tient compte de l’inégale répartition des richesses. Ses entreprises pourront être colossales, et même, à tel ou tel moment, donner l’apparence de la grandeur : le principe statutaire qui la régit sera toujours l’intérêt de la société, et ce principe sera la seule parole qu’elle pourra apporter au perpétuel bouleversement humain qu’est l’histoire. Voilà pourquoi l’action de l’Angleterre dans le concert des peuples ne semble jamais positive, mais négative : la recherche d’un équilibre, qui se rompt tantôt avec le sacrifice de l’un, tantôt avec le sacrifice de l’autre, à la seule fin et avec le seul résultat de maintenir debout l’administration en danger, et de prolonger le terme d’échéance de la société. La rupture fatale de cet équilibre est la guerre ; mais l’effroyable tribut de sang que l’Angleterre impose périodiquement à l’humanité et à elle-même pour sa survie ne pèse pas sur son bilan, et aujourd’hui encore, alors que ce sang coule plus abondamment peut-être que prévu, nous la voyons étudier attentivement les déplacements des forces anciennes et la constitution des forces nouvelles, et préparer, aux dépens des unes et des autres, dans des conférences à deux, à trois, à quatre, rendues spectaculaires par la modernité des transports, un nouvel équilibre, et donc une nouvelle guerre.
Salvatore Satta – De profundis

© Marc Leroy - Mémorial des guerres d'Indépendance à Rome sur la colline du Janicule