Alors, d’où vient que beaucoup de gens, ces temps-ci, adhèrent à ce que clame Michel Onfray ou bien s’en inquiètent ? L’explication la plus plausible réside dans la notoriété et le charisme de l’auteur. Michel Onfray écrit et parle avec une très grande assurance. Son personnage, désormais, compte encore plus que ses idées.

Plus généralement, c’est aujourd’hui une posture avantageuse que celle de l’intellectuel qui prétend défier des institutions, anéantir des illusions et dénoncer des mythes. On se donne l’air de défendre la raison, on se glisse dans le rôle, bien connu en Europe depuis le siècle de Voltaire, du penseur qui se moque des croyances et des religions. C’est même l’une des très rares situations actuelles où l’on réussisse à passer pour un héros sans pour autant risquer sa peau.


En essentialisant l’antisémitisme, en le concevant comme un bloc monolithique de l’Antiquité à la Shoah, et en amalgamant christianisme et antisémitisme, Michel Onfray fait bien plus que calomnier les chrétiens : il provoque une sorte de brouillage de la réflexion sur les risques actuels. Il aurait dû se rappeler cet avertissement donné par Hannah Arendt : « En considération de la catastrophe finale qui a mené les Juifs si près de la disparition totale, la thèse d’un éternel antisémitisme est devenue plus dangereuse que jamais. »


Ce lâche procédé de l’énumération ridiculisante permet à l’auteur de ne pas réfléchir, de ne pas chercher à comprendre, tout en poussant son public à en faire autant. Cette technique remplace la raison par le rictus, la réflexion par le ricanement. C’est une véritable trahison de l’intelligence, un manquement à la mission de l’intellectuel. Car toute science, tout savoir pourront toujours sembler ridicules, si l’on se limite à jeter à la figure des gens, sans discernement ni didactisme, les mots épars de leur lexique spécialisé. Qu’il sagisse de vocabulaire mathématique, de termes médicaux ou de concepts théologiques, le résultat sera inévitablement le même. Or, je le dis en pesant mes mots, une telle rhétorique relève de l’obscurantisme et de la démagogie : elle encourage non seulement l’ignorance, mais encore le refus de la connaissance, l’étroitesse d’esprit et la peur du débat ; elle invite chacune et chacun à se complaire dans sa propre incompétence tout en se moquant de celles et ceux qui pourraient les faire bénéficier de leur expertise. Cette attitude de Décadence pourrait se résumer par cette parole : « Je ne comprends pas la langue de mon interlocuteur, donc celui-ci est un imbécile. »