Me voilà donc entré dans l’arène des confesseurs de la foi : il est bien vrai que le Seigneur choisit les petits pour confondre les grands de ce monde. Quand vous apprendrez mes combats, j’ai confiance que vous apprendrez également mes victoires. Je ne m’appuie pas sur mes propres forces, mais sur la force de celui qui a vaincu les puissances de l’enfer et du monde sur la croix.


Au bout de deux jours, je suis arrivé à la préfecture de Ke-Cho (Hanoï), l’ancienne capitale des rois du Tonkin. Me voyez-vous siégeant tranquillement dans ma cage de bois, porté par huit soldats au milieu d’un peuple innombrable qui se précipite sur mon passage.

J’entends dire autour de moi « Qu’il est joli cet Européen ! Il est serein et joyeux comme quelqu’un qui va à la fête ! Il n’a pas l’air d’avoir peur ! Celui-là n’a aucun péché ! Il n’est venu en Annam que pour faire du bien, et cependant on le mettra à mort ! etc., etc. »


– Qui vous a envoyé ?

– Ce n’est ni le roi, ni les mandarins de France qui m’ont envoyé. C’est de mon propre chef que j’ai voulu aller prêcher les païens, et mes supérieurs en religion m’ont assigné le royaume annamite comme district.


Très cher, très honoré et bien aimé Père,

Puisque ma sentence se fait encore attendre, je veux vous adresser un nouvel adieu, qui sera probablement le dernier. Les jours de ma prison s’écoulent paisiblement. Tous ceux qui m’entourent m’honorent, un bon nombre m’aiment. Depuis le grand mandarin jusqu’au dernier soldat, tous regrettent que la loi du royaume me condamne à la mort. Je n’ai point eu à endurer de tortures, comme beaucoup de mes frères. Un léger coup de sabre séparera ma tête, comme une fleur printanière que le Maître du jardin cueille pour son plaisir. Nous sommes tous des fleurs plantées sur cette terre que Dieu cueille en son temps, un peu plus tôt, un peu plus tard. Autre est la rose empourprée, autre le lys virginal, autre l’humble violette. Tâchons tous de plaire, selon le parfum ou l’éclat qui nous sont donnés, au souverain Seigneur et Maître.

Je vous souhaite, cher Père, une longue, paisible et vertueuse vieillesse. Portez doucement la croix de cette vie, à la suite de Jésus, jusqu’au calvaire d’un heureux trépas. Père et fils se reverront au paradis. Moi, petit éphémère, je m’en vais le premier. Adieu.


Et toi, chère Sœur, je te laisse dans le champ des vertus et des bonnes oeuvres. Moissonne de nombreux mérites pour la même vie éternelle qui nous attend tous deux. Moissonne la foi, l’espérance, la charité, la patience, la douceur, la persévérance, une sainte mort.


Toi cher frère, encore jeune d’années, tu restes après moi sur la mer de ce monde, naviguant au milieu des écueils. Conduis bien ton navire. Que la prudence soit ton gouvernail, l’humilité ton lest, Dieu ta boussole, Marie Immaculée ton ancre d’espérance. Et malgré les dégoûts et les amertumes qui, comme une mer houleuse, inonderont ton âme, ne laisse jamais submerger ton courage ; mais comme l’arche de Noé, surnage toujours sur les grandes eaux.