L’acte pour l’accomplissement duquel le Christ est venu sur la terre, et que chaque Pâques renouvelle, peut être envisagé sous différents aspects ; mais son aspect le plus général est une guerre, ce combat que saint Paul résume en ces termes : « Ayant dépouillé les principautés et les puissances, il leur a signifié librement sa volonté, après les avoir assujetties à son triomphe. » Car l’esprit du mal s’étant, par sa fourberie, emparé de l’homme et par lui du monde, le Christ est venu pour ravir son empire au père du mensonge, en brisant ses armes, le péché et la mort, et rétablir sur toute créature le règne de Dieu. Il a vaincu le péché en demeurant inébranlable devant la tentation diabolique, jusqu’à accepter, par obéissance à son Père, la croix où les puissances infernales le clouaient.


L’origine de notre péché c’est de ne vouloir notre être et les autres que pour nous ; l’origine de notre salut sera de ne nous vouloir d’abord, et tout le reste, que pour Dieu. Cela implique que nous commencions par tout détacher de nous, et nous en détacher nous-mêmes. Dieu, par la suite, pourra nous rendre ce que nous aurons abandonné, et il nous le rendra au centuple ; mais dans l’Agapé recréée en nos cœurs la possession en sera toute différente. Non plus repliée sur nous, mais ouverte sur Dieu, cette possession n’offrira plus de prise au démon, lequel saisit ce qui se détache de Dieu pour s’attacher à soi. Au contraire, nous posséderons tout sans être possédés par rien, Dieu seul nous possédant.


L’amour fait de désir n’est pas en soi condamnable. Il est la condition de la créature en tant que telle. Toutefois, sa parfaite satisfaction exige, encore qu’il l’ignore, son renoncement. Insatisfait jusqu’à ce qu’il ait obtenu l’infini, il ne peut y atteindre sans mourir à lui-même. Car posséder l’infini, c’est faire sien le total don de soi. Pour le désir, s’accomplir ainsi, c’est d’abord se renoncer.


Ceux qui préfèrent les ténèbres à la lumière du Christ se placent eux-mêmes en dehors du salut et font eux-mêmes de l’amour qui sauve la colère qui condamne. A proprement parler, le jugement n’est différé qu’en apparence, puisque ce jugement n’est que ce que nous déterminons nous-mêmes selon que nous acceptons ou repoussons le seul amour qui pouvait nous sauver. Ainsi la Croix qui doit sauver le pécheur repentant et croyant condamne-t-elle du même coup l’incrédulité de l’orgueilleux.