Qu’est le prêtre, pour les théoriciens de l’athéisme ou même pour les partisans sincères du futur humanisme ? Le témoin irritant d’un passé révolu ; le parasite encombrant d’une société où chacun travaille et construit ; le citoyen de seconde zone qu’on range dans la catégorie des incapables, à moins qu’on ne le combatte pour les intentions qu’on lui prête d’asservir hypocritement les masses laborieuses.

Ils voient l’homme, ils le jaugent en économistes ; l’oeuvre cachée, l’efficience invisible leur échappent. Du sacerdoce, on ne retient qu’un aspect dérivé ou un caractère accessoire : on ne le voit pas dans son ensemble, on ne le replace pas dans son mystère. Conséquence logique de l’athéisme ambiant : notre époque a laïcisé, naturalisé, humanisé le prêtre. Pour retrouver le sens de Dieu, il faut retrouver le sens du prêtre : pas de retour à Dieu sans retour au prêtre.


Comme le Christ, le prêtre connaîtra la tentation du désert. Comme au Christ, le Tentateur lui demandera de faire que « les pierres deviennent du pain » et lui proposera de soumettre à son empire « tous les royaumes de la terre ». Insidieux, Satan voudra le persuader qu’il lui revient en propre, en raison de sa puissance, de se faire l’artisan des progrès de la terre ; et donc, selon le cas, le défenseur des régimes établis, ou le champion des causes révolutionnaires. Il faudra au prêtre toute sa lucidité et tout son détachement pour rester sourd à ces appels, car ce qui fait leur puissance, c’est qu’ils s’adressent à son coeur. On lui fera valoir que ce n’est pas pour lui, mais pour la sauvegarde de la culture, ou pour les masses sans abri, sans foyer et sans pain qu’il a le devoir d’utiliser son crédit et sa prééminence. On comptera sur lui pour procure, sans délai, par son influence, l’aisance, l’instruction, la sécurité. Il en a bien le devoir, en effet, et plus que tout autre. Mais pas de cette façon-là.

Pour vaincre la souffrance, conséquence du péché, Jésus ne l’a pas annihilée magiquement : il l’a prise sur Lui pour la transfigurer. Il n’a pas invoqué sa condition divine. Il s’est fait humblement l’un de nous ; il a voulu prendre la condition humaine comme elle est, « nous laissant son exemple afin que nous suivions ses traces » (1P 2, 21). Car il n’est pas venu pour instaurer un nouveau Paradis terrestre, mais pour introduire l’homme – personnes et société – dans le royaume de Dieu et son « admirable lumière » (1P 2, 9). Le Christ n’a pas été un magicien, mais un sauveur.


Pour être le vrai médiateur de la cité, le prêtre doit être, à la fois, et simultanément, l’homme de Dieu et l’homme des hommes.


Parce qu’il est à Dieu, le prêtre, sur terre, n’est à personne. Au service de tous, il n’appartient, strictement à aucun. Témoin du Père « qui fait luire son soleil sur les bons et sur les méchants » (Mt 5, 45), il n’est prisonnier de personne : famille, race, nation, nul n’a le droit de l’accaparer. Il est le frère universel ; il se doit à tous également, voulant les réconcilier tous en Jésus-Christ. Ainsi – et sans contradiction – parce qu’il n’est à personne, il est à tous. Médiateur vis-à-vis de Dieu, il devient, logiquement, médiateur entre les hommes. Le sens populaire à notre époque – vestige d’une imprégnation séculaire des consciences par l’Evangile – en a le sentiment très vif : Dieu est à tous. Dieu n’est pas partisan. Ainsi du Sacerdoce. Il est au-dessus des classes, des partis, des divisions. Message important à faire entendre à notre monde moderne, où s’exaspèrent tant d’antagonismes. Dans le subconscient des foules – et malgré leurs oppositions – il y a une catégorie du Sacerdoce, une estimation commune, imprécise, mais émouvante dans ce qu’elle implique. Il est conçu comme un trésor commun, un patrimoine indivis, auquel on se réfère aux heures de crises ou de joies, nationales et individuelles. Cette opinion se fonde sur une réalité. En affirmant sans cesse notre universelle communauté de destin, le prêtre, dans la société contemporaine, est et doit être l’artisan de la Paix.