Paris, Editions Desclée de Brouwer, 1951.

Maurice Zundel (1897-1975), prêtre suisse, mit toute sa vie au service de la rencontre de Dieu en l’homme. Paul VI le décrivit comme « un génie, génie de poète, génie mystique, écrivain, théologien ».


Vous verrez combien une foule se transfigure quand vous projetterez sur chacun des individus qui la composent, le mystère de votre âme, et que vous estimerez ses besoins à la mesure des vôtres, en lui reconnaissant un droit égal d’y satisfaire. p. 23.


Dieu est une rencontre que chacun doit faire en soi. Et, en vérité, tout être est croyant qui s’efface devant cet Autre en soi, qui vaut infiniment mieux que soi et qui lui est plus intime que son âme : quelque nom d’ailleurs qu’il donne à la Présence lumineuse qui l’habite. Certains se disent athées qui la servent dans la droiture de leur vie. D’autres, en revanche, se disent croyants, qui ne mettent, sous son nom, que la figure magnifiée de leur ignorance ou de leurs passions.
« Dieu, dit admirablement Louis Massignon, Dieu n’est pas une invention, c’est une découverte. » pp. 31-32.


Le monde est créé du côté de Dieu, il n’est pas encore achevé du côté de l’homme. Nous ne saurons ce qu’il doit être qu’après avoir donné ce consentement de notre liberté qui en fera une oblation d’amour.
La religion n’est pas l’attente passive d’une béatitude extérieure à l’esprit, mais la création avec Dieu et à son image d’un monde de lumière, de joie et de beauté. p. 80.


La prière fait de notre vie un don et nous établit dans une relation filiale avec notre Créateur.
Elle n’a donc point pour fin de renseigner Dieu sur nos besoins, qu’Il connaît infiniment mieux que nous ; elle ne se propose pas non plus de L’amener à consentir à leur satisfaction, car Sa bonté infinie ne cesse de vouloir notre bien, mais de faire coïncider bien plutôt notre volonté avec la Sienne, pour que Son amour ait dans le nôtre une réponse de plus en plus parfaite. p. 85.


Toutes solidaires les unes des autres matériellement, les nations n’ont pas encore suffisamment perçu dans cette interdépendance même l’existence d’un lien plus profond et comme une vocation d’humanité.
Un idéalisme très louable sans doute anime quelques grandes institutions internationales et fermente en des discours généreux, mais trop éloigné de la vie matérielle pour répondre à ses exigences et pas assez proche de la vie spirituelle pour empoigner les âmes. p. 96.


La sainteté infinie d’un Dieu qui est tout Amour, s’exprimant personnellement dans une humanité toute sainte qui n’est qu’une relation vivante à Lui, ce n’est pas là une proposition sans rapport avec les préoccupations d’une âme élevée. L’altruisme divin trouve enfin sa réplique humaine dans l’homme qui a son moi en Dieu ; la Divine Pauvreté peut s’exprimer tout entière en l’humanité toute désappropriée d’elle-même pour subsister en Dieu. pp. 111-112.


L’Église n’est ni une affaire ni un parti, elle n’est liée à aucun régime, elle n’est solidaire d’aucun ordre établi tant que ne s’y réalise point la perfection de la justice et de l’amour. Elle n’a aucune frontière, ni de nation, ni de langue, ni de race.
Elle est catholique, c’est-à-dire universelle, comme le cœur du Seigneur. Sa tâche propre est d’amorcer le Royaume de Dieu, de susciter l’humanité-Esprit, en déposant en chaque âme ce ferment d’amour qui l’ouvrira à l’invitation mystérieuse d’une Présence infinie, en l’identifiant toujours plus parfaitement au Christ Jésus.
C’est par là seulement, par le développement de notre intimité avec le Christ Sauveur, que se réalisera l’unité véritable du genre humain, quand chacun de nous aura un coeur universel et se sentira personnellement responsable du sort de chacun de ses frères.
On ne peut être catholique sans consentir à ce programme. pp. 120-121.


Les hommes qui disent quelque chose ne sont pas très nombreux : ceux qui écoutent sont encore plus rares.
C’est cependant par là qu’il faut commencer.
L’esprit ne veut pas être contraint : l’âme ne se livre qu’à l’âme.
Combien de discussions – entre peuples aussi bien qu’entre individus – s’égarent dans les clameurs de l’amour-propre ou dans les subtilités de la mauvaise foi, parce que les mots s’abattent du dehors, comme des coups de bélier, au lieu de naître du silence, comme les témoins de la Vérité.
L’esprit, au fond, ne demande qu’à se donner à elle, car elle est son bien. Mais il ne peut la reconnaître comme telle, si elle lui est assénée comme une menace. pp. 124-125.


Si les créatures nous sont un piège, en effet, aussi paradoxal que cela puisse paraître, c’est justement parce que nous ne les aimons pas. Nous les voulons pour nous, nous les rapportons à nous comme de simples moyens, nous leur donnons la figure de nos désirs, nous les limitons à la mesure de nos besoins ; nous ne semblons soupçonner, ni qu’elles puissent avoir leur destin propre — une œuvre à faire qui nous dépasse et devant laquelle nous ayons à nous effacer — ni que nous soyons responsables en quelque manière de leur fidélité aux exigences spirituelles qui doivent s’accomplir en elles.
Ces remarques s’appliquent d’abord évidemment à nos rapports avec les êtres raisonnables. Elles demeurent vraies pourtant en quelque manière dans nos relations avec toute créature.
Si l’univers a une source divine, aussi bien comment n’aurait-il pas une fin divine ? Comment chaque chose ne serait-elle pas revêtue de la splendeur du dessein qui se poursuit en lui, emportée par l’élan infini qui le soulève vers Dieu ?
Quel ostensoir nous deviendrait chaque être, en vérité, si nous allions à la rencontre, en lui, de cette pensée divine qui est son identité véritable, si nous l’abordions avec le désir de dégager en lui cette part d’infini qui doit rayonner par lui.
Le détachement chrétien n’est que cette passion divine pour la grandeur des êtres, ce refus de les prendre plus bas que la noblesse de leur origine et de leur fin, cette volonté qu’ils soient.
Il n’y a plus alors aucun péril à les aimer, en la transparence mystérieuse qui fait de chacun comme une nouvelle révélation de Dieu.
Toute rencontre devient une prière, tout regard fait sourdre l’oraison, toute la vie est religion. Je ne sais rien de plus simple ni de plus profond que cette contemplation, qui du matin au soir, découvre une présence divine au cœur des choses. Je ne connais pas de musique plus merveilleuse que ce chant qui jaillit des âmes dès qu’on s’agenouille devant leur mystère. Je ne crois pas qu’il puisse y avoir une plus haute source de poésie qu’un univers à l’œuvre avec son Créateur, pour susciter en nous une vie divine. pp. 139-140.


Si vous ne pouvez plus rien faire, si vous êtes infirme et seul, si l’on vous a remplacé par une machine comme on le ferait d’un outil, vous demeurez toujours capable de l’action qu’une âme vivante peut seule accomplir, et sans laquelle toute notre civilisation matérielle n’est qu’une immense barbarie : aimer.
A quoi sert que les hommes puissent communiquer d’un pôle à l’autre en l’espace d’un éclair, s’ils n’ont plus rien d’essentiel à se dire, s’ils sont également vides de l’unique nécessaire ?
Et quel avantage à ce qu’ils disposent tous de la même technique s’il n’en doit résulter qu’une concurrence plus meurtrière et une misère plus générale ?
Il n’y a que l’esprit de pauvreté qui use bien de la richesse, il n’y a que le désintéressement de l’amour qui rend clairvoyant. pp. 161-162.