Au cours de l’Histoire, de grands zélés ont voulu – voudraient encore – imposer d’autorité la foi aux hommes.
« Forcez-les d’entrer. »
Que celui qui règne s’y emploie – pontife ou chef – que celui qui a le pouvoir en use, qu’il poursuive l’erreur sur chaque bouche, sous chaque plume, dans chaque pensée, qu’il impose à tous la vérité – obligation de conscience pour qui a la charge du peuple et doit le conduire au salut éternel.
Mon Dieu, je ne puis me rendre à ce zèle, j’ai peur d’être piètre chrétienne, indifférente au règne de Vous.
Pourtant, je crois, Seigneur, je crois… Aidez mon incrédulité.
« A la première heure du monde, dit Dieu, au Jardin des innocences, j’ai créé l’homme. Je l’ai fait libre. A mes dépens. A ses dépens. Je l’ai fait libre. Il a péché. Il était libre.
J’ai lié son corps, sa boue, comme ceux de toutes créatures à la nécessité universelle de la matière, mais mon Souffle qui souffle où il veut, quand je le lui donnai, était-ce pour l’enchaîner ?
Son corps m’est soumis, non son âme. Elle seule peut me dire non ! comme me l’a dit l’Ange… Ainsi, l’ai-je voulu pour qu’elle pût, de gré, non de force, me dire oui.
Qu’ajoute à ma gloire, à ma joie, un adorateur servile, un esclave ? …
Attire les hommes à Moi, incline-les vers Moi pour qu’ils me choisissent. Mais si tu enchaînes malgré eux à mon culte, par menace ou par promesse, les paroles de leurs lèvres et le fléchissement de leurs genoux, si tu réduis leur âme en servitude, tu t’opposes à mon Souffle, tu avilis mon œuvre du sixième jour. »
Communion
Vous voilà, mon Dieu. Vous me cherchiez ? Que me voulez-Vous ? Je n’ai rien à Vous donner. Depuis notre dernière rencontre, je n’ai rien mis de côté pour Vous.
Rien… Pas une bonne action. J’étais trop lasse.
Rien… Pas une bonne parole. J’étais trop triste.
Rien que le dégoût de vivre, l’ennui, la stérilité.
– Donne !
– La hâte, chaque jour, de voir la journée finie, sans servir à rien ; le désir de repos loin du devoir et des œuvres, le détachement du bien à faire, le dégoût de Vous, ô mon Dieu !
– Donne !
– La torpeur de l’âme, le remords de ma mollesse, et la mollesse plus forte que le remords…
– Donne !
– Le besoin d’être heureuse, la tendresse qui brise, la douleur d’être moi sans secours…
– Donne !
– Des troubles, des épouvantes, des doutes…
– Donne !
– Seigneur ! Voilà que, comme un chiffonnier, Vous allez ramassant des déchets, des immondices. Qu’en voulez-Vous faire, Seigneur ?
– Le Royaume des Cieux.
S’accepter soi-même, imparfait, tantôt saint à demi, tantôt à demi coupable, avec les remous incessants d’ombre et de lumière qu’est une âme vivante.
Il ne faut pas s’épuiser à vouloir être trop pur.
Les âmes les meilleures, les plus nourricières sont faites de quelques grandes bontés rayonnantes et de mille petites misères obscures dont s’alimentent parfois leurs bontés comme le blé qui vit de la pourriture du sol.
L’histoire de mon âme, c’est l’histoire du blé.
Au printemps, j’étais herbe au vent, j’étais fleur, j’étais jeu et joie. Alors, ô mon Dieu, je Vous ai aimé.
En été, mon grain a mûri : je Vous ai donné quelques œuvres.
En automne, je l’ai perdu ! je n’ai plus à Vous donner rien.
Je n’ai plus ni fleur, ni grain. Je ne suis plus ni moi, ni rien qui me ressemble. De brisement en brisement, me voici réduite en poussière ; me voici grain battu, farine broyée ; me voici pain pétri, cuit, mordu, mâché, détruit.
Rien n’est resté de moi.
Je n’ai plus à Vous donner, ô mon Dieu, ni fleur, ni fruit, ni cœur, ni œuvre ; plus rien qu’une bouchée soumise de pain sec.
Votre pain comme Vous êtes le mien.
Ô mon Dieu, tirez parti de ma vieillesse comme un père de famille économe qui utilise les déchets et les choses usées.
La paille brisée ou foulée est toujours assez bonne pour la niche du chien et avec le bois mort on peut faire un petit feu qui réchauffera les doigts des pauvres.
Après avoir été un instant fleur fraîche et fruit mûr dans le jardin de Dieu, je voudrais bien, pour mon hiver, être une bonne vieille petite pomme sèche, douce et ridée dans son cellier.
Geneviève, Jeanne… Bernadette… Thérèse…
Quand Dieu veut parler à la France, il fait monter des prés, sortir des bois, jaillir des sources, une jeune fille.
En ce siècle-ci, la France avait quitté son droit chemin de religion. Depuis deux ou trois cents ans, elle n’avait guère été endoctrinée que par des docteurs sévères qui prêchaient, grondaient, menaçaient, punissaient, si bien qu’elle a commencé de tourner le dos à Dieu comme à un vieux maître désagréable. Elle est partie faire l’école buissonnière.
Alors, pour la rattraper, Dieu lui a envoyé une petite-fille avec un panier de roses.
Dieu conduit et sauve les peuples comme Il peut.
Aux uns, Il montre sa force… Dominique… Ignace…
Mais, nous autres de France, Il nous prend par un charme. Il envoie des bergères.
Procès politiques
Principes : Caïphe, le grand Prêtre, dit : « Pour la nation… pour le parti… il est expédient que cet homme meure. »
Pratique : la Sagesse des Nations dit : « Quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la gale. »
Le chien étant condamné à mort, toute la forme du procès revient à chercher habilement et adroitement trouver… la gale.
Que l’accusé soit Jésus-Christ, Jeanne d’Arc, Louis XVI, le duc d’Enghien, tels ou tels autres accusés, il s’agit, non pas de juger un homme, mais de justifier une sentence.
L’Amour… parfois une fontaine sauvage, perdue, dans un lieu sans accès, qui coule inutilement nuit et jour pendant des années… des années… des années… pour qu’une seule fois – et peut-être pas même une seule – un passant vienne y boire une gorgée et s’éloigne.