Jusqu’alors sa capacité d’aimer s’était traduite par l’action. Une action souvent crucifiante pour son moi, mais qui n’en était pas moins son action. Elle agissait au service d’une grande cause. Maintenant cette force d’amour allait devoir se traduire par un pur consentement à l’action d’un Autre.
La considération ! c’est ce que nous accordons le moins et le plus difficilement. Nous donnons aisément de notre argent, de notre temps, de notre savoir. Nous accordons plus rarement notre considération. Pourquoi ? Tout simplement parce que montrer de l’estime à une personne, c’est reconnaître qu’elle peut nous apporter quelque chose, c’est donc la placer aussi haut que nous et même parfois plus haut, tandis que, dans le don que nous lui faisons de notre argent, de notre temps ou de notre savoir nous nous mettons au-dessus d’elle, nous la plaçons d’emblée dans notre dépendance.
Aujourd’hui Dieu, le fondateur du monde, se voit lui aussi tenu à l’écart, oublié à la porte de tous les conseils où se décident les affaires de ce monde. Il ne figure pas parmi les « grands ». Il est relégué dans l’ombre, comme inutile ou inexistant. On se passe de lui, allègrement. Il est « mort », disent certains. Désormais, « nous sommes sur un plan où il y a seulement des hommes », proclament les têtes pensantes, avec la fière conscience d’ouvrir une ère nouvelle pour l’humanité : celle où l’homme lui-même refera le monde. Croire en Dieu aujourd’hui est devenu une infirmité grave de la pensée, voire un obstacle à l’avènement de l’homme.
Et Dieu, l’oublié, se tait. Son silence n’est pas un repli sur lui-même. Le fondateur du monde se laisse volontiers dépouiller de tout signe de puissance. Il n’y a en lui aucune volonté de domination ou de possession. Son silence exprime sa vérité, sa vraie grandeur.
Le silence de Jeanne s’ouvre sur celui de Dieu. Il nous en fait entrevoir la profondeur. Ce silence ne signifie pas que Dieu s’est éloigné de nous et qu’il garde ses distances par rapport à notre vie terrestre et quotidienne. Il signifie, au contraire, qu’il s’est fait si proche de nous que nous ne pouvons l’entendre qu’en écoutant notre propre cœur. Il nous faut prêter l’oreille au mystère qui nous habite.