La mission a pris bien des formes depuis deux millénaires : les faux dieux n’ont pas manqué, mais aujourd’hui c’est l’idée même de Dieu qui est rejetée. Nous ne sommes plus au combat pour dire le vrai Dieu, c’est la religion elle-même que l’on refuse. Pour les hommes qui nous entourent le choix n’est pas entre Dieu et Satan, mais entre Dieu et rien, et ils ont choisi le rien.

Mais le rien opposé à Dieu n’est pas vide, il pèse lourd du poids de toutes les richesses du monde en expansion. Choisir le rien pour les hommes d’aujourd’hui n’est pas accepter le néant, c’est posséder tout : les autos, les voyages, les conforts électro-domestiques, les cultures, la pensée et l’amour, les amours enfin libérés des contraintes dont le christianisme les avait enserrés.


L’apôtre, s’il veut affronter le combat singulier de l’incroyance d’aujourd’hui, doit renoncer à s’empêtrer dans les armures propres à Saül et à Goliath : ses armes sont autres et la première de toutes est sa pauvreté. En face de l’incroyance massive, la foi. En face des richesses, des prestiges et des techniques, la pauvreté. Car la pauvreté est la conséquence visible de la foi, l’attitude de celui qui attend tout d’un autre et le signe de celui qui ne s’appuie que sur Dieu.


Tous nous sommes menacés par cela : devenir un « professionnel » de la mission, un professionnel de l’apostolat, un spécialiste de la liturgie ou de la catéchèse, un permanent de ceci ou cela, un professionnel de l’Action catholique, peut-être même un professionnel de l’épiscopat, et dire, « professionnellement  », tout ce qu’il faut, avec bonheur même, mais cette fonction a évacué le seul nécessaire : vivre, pâtir dans le Christ.


L’absence de Dieu, selon les lieux, se donne des visages différents, mais le mal est le même et le remède doit être cherché au-delà des causes immédiates et apparentes. Dieu seul peut toucher un cœur d’homme : ni la science, ni la sagesse humaine, ni l’éloquence, ni l’art, ni aucun prestige ne peuvent ouvrir un incroyant à Dieu. Il y a trop d’échappatoires, de chemins de traverse. Il y a trop de séductions, nobles ou basses, trop de pressions sociales, de slogans. Chacun est trop inconstant dans le meilleur comme dans le pire.

Il nous faut donc comprendre que notre première tâche et notre première efficacité résident dans une supplication instante et constante auprès de Dieu pour qu’il agisse dans le secret des cœurs.


Il faut que nous renoncions à cette autonomie absolue qui est si vissée à notre nature (j’écrirais volontiers « vicée ») : il nous faut consentir chaque fois – et c’est là la charité – à l’entrée d’un autre dans notre vie. C’est la belle parole du Père de Lubac :  « Nous ne sommes pas des morceaux, mais des membres. »


Nous courons tous le danger de devenir terriblement indépendants et d’organiser en réalité notre vie selon nos goûts, même si extérieurement il semble que nous soyons très donnés aux autres. Il nous faut l’avouer, le don aux autres quand ces autres sont à l’extérieur de l’équipe, est tellement plus facile : on se sent compris, on se voit (et l’on se croit plus encore) utile, on aide, et les plus vifs dénonciateurs du paternalisme y succombent eux-mêmes.