La civilisation au milieu de laquelle nous nous trouvons rend la prière difficile. Il est certain tout d’abord que la civilisation technique entraîne une modification du rythme de l’existence humaine, une accélération du temps qui rendent plus difficile à trouver le minimum d’espace dont a besoin un minimum de vie d’oraison.
Il y a donc un problème de rythme de temps ; il y a aussi un problème de socialisation de l’existence. De même que l’oraison a besoin d’un minimum de temps, elle a besoin d’un minimum de solitude, d’un minimum de vie personnelle. Or il est certain que, dans les conditions concrètes de l’existence de l’homme d’aujourd’hui, ceci est à nouveau pratiquement impossible. Le cadre de la vie urbaine saisit dans une existence collective perpétuellement absorbante. L’homme d’aujourd’hui est un homme aliéné qui a perdu la possibilité de se retrouver lui-même, qui ne sait plus ce qu’il est, parce qu’il ne fait que répondre perpétuellement à des sollicitations du dehors, et qui finit, par conséquent, par être dépersonnalisé.
La civilisation chrétienne n’est pas sans tentation pour les chrétiens. Tant qu’ils sont persécutés par la cité, ils n’ont pas de mal à maintenir une espérance qui dépasse la cité. Mais quand ils sont maîtres de la cité, ils risquent de s’enliser dans la cité. Manier l’argent, faire de la politique, n’est jamais sans piège. Et combien, qui l’ont entrepris pour les meilleures intentions, s’y sont laissé prendre ! Le plus grand danger pour le chrétien n’est pas la persécution, mais la mondanisation. Le drame de la civilisation chrétienne, c’est le fait que l’engagement temporel soit à la fois un devoir et une tentation, c’est le danger de ne pas garder vivante la tension de l’espérance eschatologique et de la tâche civilisatrice et de ne pas trouver la juste articulation de l’une et de l’autre.