Le péché n’est honteux que quand nous le faisons, mais étant converti en confession et pénitence, il est honorable et salutaire. La contrition et confession sont si belles et de si bonne odeur, qu’elles effacent la laideur et dissipent la puanteur du péché. Simon le lépreux disait que Madeleine était pécheresse ; mais Notre Seigneur dit que non, et ne parle plus sinon des parfums qu’elle répandit et de la grandeur de sa charité.
L’oraison mettant notre entendement en la clarté et lumière divine, et exposant notre volonté à la chaleur de l’amour céleste, il n’y a rien qui purge tant notre entendement de ses ignorances et notre volonté de ses affections dépravées : c’est l’eau de bénédiction qui, par son arrosement, fait reverdir et fleurir les plantes de nos bons désirs, lave nos âmes de leurs imperfections et désaltère nos coeurs de leurs passions.
Reconnaissez que de vous-même vous ne sauriez rien faire de ce que vous avez délibéré, soit pour fuir le mal, soit pour exécuter le bien. Et comme si vous teniez votre coeur en vos mains, offrez-le avec tous vos bons desseins à la divine Majesté, la suppliant de le prendre en sa protection et le fortifier, pour bien réussir en son service, et ce par telles ou semblables paroles intérieures : O Seigneur, voilà ce pauvre et misérable coeur qui, par votre volonté, a conçu plusieurs bonnes affections ; mais hélas ! il est trop faible et chétif pour effectuer le bien qu’il désire, si vous ne lui départez votre céleste bénédiction, laquelle à cette intention je vous requiers, ô Père débonnaire, par le mérite de la Passion de votre Fils, à l’honneur duquel je consacre cette journée et le reste de ma vie. Invoquez Notre-Dame, votre bon Ange et les Saints, afin qu’ils vous assistent à cet effet.
Les père et mère de sainte Catherine de Sienne lui ayant ôté toute commodité du lieu et de loisir pour prier et méditer, Notre-Seigneur l’inspira de faire un petit oratoire intérieur en son esprit, dedans lequel se retirant mentalement, elle pût parmi les affaires extérieures vaquer à cette sainte solitude cordiale. Et depuis, quand le monde l’attaquait, elle n’en recevait nulle incommodité, parce, disait-elle, qu’elle s’enfermait dans son cabinet intérieur, où elle se consolait avec son céleste Epoux. Aussi dès lors elle conseillait à ses enfants spirituels de se faire une chambre dans le coeur et d’y demeurer.
Certes les prétentions si hautes et élevées des choses extraordinaires sont grandement sujettes aux illusions, tromperies et faussetés ; et arrive quelquefois que ceux qui pensent être des anges ne sont pas seulement bons hommes, et qu’en leur fait il y a plus de grandeur ès paroles et termes dont ils usent, qu’au sentiment et en l’oeuvre. Il ne faut pourtant rien mépriser ni censurer témérairement ; mais en bénissant Dieu de la suréminence des autres, arrêtons-nous humblement en notre voie plus basse, mais plus assurée, moins excellente, mais plus sortable à notre insuffisance et petitesse, en laquelle si nous conversons humblement et fidèlement, Dieu nous élèvera à des grandeurs bien grandes.
Quand vous serez accusé justement pour quelque faute que vous aurez commise, humiliez-vous bien fort, confessez que vous méritez l’accusation qui est faire contre vous. Que si l’accusation est fausse, excusez-vous doucement, niant d’être coupable, car vous devez cette révérence à la vérité et à l’édification du prochain ; mais aussi, si après votre véritable et légitime excuse on continue à vous accuser, ne vous troublez nullement et ne tâchez point à faire recevoir votre excuse ; car après avoir rendu votre devoir à la vérité, vous devez le rendre aussi à l’humilité. Et en cette sorte, vous n’offenserez ni le soin que vous devez avoir de votre renommée, ni l’affection que vous devez à la tranquillité, douceur de coeur et humilité.
Plaignez-vous le moins que vous pourrez des torts qui vous serons faits ; car c’est chose certaine que pour l’ordinaire, qui se plaint pèche, d’autant que l’amour-propre nous fait toujours ressentir les injures plus grandes qu’elles ne sont ; mais surtout ne faites point vos plaintes à des personnes aisées à s’indigner et mal penser.
Comme ceux qui odorent la mandragore de loin et en passant reçoivent beaucoup de suavité, mais ceux qui la sentent de près et longuement en deviennent assoupis et malades, ainsi les honneurs rendent une douce consolation à celui qui les odore de loin et légèrement, sans s’y amuser ou s’en empresser ; mais à qui s’y affectionne et s’en repaît, ils sont extrêmement blâmables et vitupérables.
Les mulets laissent-ils d’être lourdes et puantes bêtes, pour être chargés des meubles précieux et parfumés du prince ? Qu’avons-nous de bon que nous n’ayons reçu ? Et si nous l’avons, pourquoi nous en voulons-nous enorgueillir ? Au contraire, la vive considération des grâces reçues nous rend humbles car la connaissance engendre la reconnaissance.
Font une grande faute plusieurs qui, s’étant mis en colère, se courroucent de s’être courroucés, entrent en chagrin de s’être chagrinés, et ont dépit de s’être dépités ; car par ce moyen ils tiennent leur coeur confit et détrempé en la colère : et si bien il semble que la seconde colère ruine la première, si est-ce néanmoins qu’elle sert d’ouverture et de passage pour une nouvelle colère, à la première occasion qui s’en présentera ; outre que ces colères, dépits et aigreurs que l’on a contre soi-même tendent à l’orgueil et n’ont origine que de l’amour-propre, qui se trouble et s’inquiète de nous voir imparfaits.
Comme les remontrances d’un père faites doucement et cordialement, ont bien plus de pouvoir sur un enfant pour le corriger que non pas les colères et courroux ; ainsi, quand notre coeur aura fait quelque faute, si nous le reprenons avec des remontrances douces et tranquilles, ayant plus de compassion de lui que de passion contre lui, l’encourageant à l’amendement, la repentance qu’il en concevra entrera bien plus avant, et le pénétrera mieux que ne ferait pas une repentance dépiteuse, ireuse et tempêtueuse.
Faites comme les petits enfants, qui de l’une des mains se tiennent à leur père, et de l’autre cueillent des fraises ou des mûres le long des haies ; car de même, amassant et maniant les biens de ce monde de l’une de vos mains, tenez toujours de l’autre la main du Père céleste, vous retournant de temps en temps à lui, pour voir s’il a agréable votre ménage ou vos occupations. Et gardez bien sur toutes choses de quitter sa main et sa protection, pensant d’amasser ou recueillir davantage ; car s’il vous abandonne, vous ne ferez point de pas sans donner du nez en terre. Je veux dire que, quand vous serez parmi les affaires et occupations communes, qui ne requièrent pas une attention si forte et si pressante, vous regardiez plus Dieu que les affaires ; et quand les affaires sont de si grande importance qu’ils requièrent toute votre attention pour être bien faits, de temps en temps vous regarderez à Dieu, comme font ceux qui naviguent en mer, lesquels, pour aller à la terre qu’ils désirent, regardent plus en haut au ciel que non pas en bas où ils voguent. Ainsi Dieu travaillera avec vous, en vous et pour vous, et votre travail sera suivi de consolation.
Ceux qui pensent être galants hommes à dire de telles paroles en conversation, ne savent pas pourquoi les conversations sont faites ; car elles doivent être comme essaims d’abeilles assemblées pour faire le miel de quelque doux et vertueux entretien, et non pas comme un tas de guêpes qui se joignent pour sucer quelque pourriture. Si quelque sot vous dit des paroles messéantes, témoignez que vos oreilles en sont offensées, ou vous détournant ailleurs, ou par quelque autre moyen, selon que votre prudence vous enseignera.
C’est une des plus mauvaises conditions qu’un esprit peut avoir, que d’être moqueur : Dieu hait extrêmement ce vice et en a fait jadis des étranges punitions. Rien n’est si contraire à la charité, et beaucoup plus à la dévotion, que le mépris et dédain du prochain.
Aucuns jugent témérairement non point par aigreur mais par orgueil, leur étant avis qu’à mesure qu’ils dépriment l’honneur d’autrui, ils relèvent le leur propre : esprits arrogants et présomptueux, qui s’admirent eux-mêmes et se colloquent si haut en leur propre estime, qu’ils voient tout le reste comme chose petite et basse : je ne suis pas comme le reste des hommes disait ce sot Pharisien.
Plusieurs s’adonnent au jugement téméraire pour le seul plaisir qu’ils prennent à philosopher et deviner des moeurs et humeurs des personnes, par manière d’exercice d’esprit ; que si par malheur ils rencontrent quelquefois la vérité en leurs jugements, l’audace et l’appétit de continuer s’accroît tellement en eux, que l’on a peine de les en détourner.
La médisance est une espèce de meurtre, car nous avons trois vies : la spirituelle qui gît en la grâce de Dieu, la corporelle qui gît en l’âme, et la civile qui consiste en la renommée ; le péché nous ôte la première, la mort nous ôte la seconde, et la médisance nous ôte la troisième. Mais le médisant, par un seul coup de sa langue, fait ordinairement trois meurtres : il tue son âme et celle de celui qui l’écoute, d’un homicide spirituel -, et ôte la vie civile à celui duquel il médit ; car, comme disait saint Bernard, et celui qui médit et celui qui écoute le médisant, tous deux ont le diable sur eux, mais l’un l’a en la langue et l’autre en l’oreille.
Nous accusons pour peu le prochain, et nous nous excusons en beaucoup ; nous voulons vendre fort cher, et acheter à bon marché ; nous voulons que l’on fasse justice en la maison d’autrui, et chez nous, miséricorde et connivence ; nous voulons que l’on prenne en bonne part nos paroles, et sommes chatouilleux et douillets à celles d’autrui.