Le cours d’une analyse est le passage progressif des tentatives avortées du sujet pour se repérer par rapport aux demandes et aux désirs des autres qui ont jalonné son histoire, à ce repérage dans l’Autre de son désir propre.
L’analyse, dans son cours aussi bien que dans ses moments, suppose, contrairement à l’action, l’impossibilité de la totalisation et de la satisfaction. C’est pourquoi elle est sans fin, car il n’y a pas de fin à ce travail par lequel on se rend compte de ce qui vous animait à votre insu. Elle est sans fin, mais non sans terme dans le processus qui a nom analyse avec un analyste. Car il arrive un moment où l’un et l’autre des deux protagonistes sont d’accord pour l’interrompre, lorsque l’on a touché à l’impossibilité de la réduction de l’Autre.
Une telle expérience va à rebours du temps propre à l’action, qui se déploie vers un but par des moyens. Elle le remonte en quelque sorte pour que s’y révèle ce qui était là de toujours. « Temps pour comprendre », a-t-on dit, mais du même coup révélation de ce non-temps propre à l’inconscient, qui est celui du sujet de l’inconscient. D’où cet aspect de fuite en avant que revêt l’action par rapport à l’expérience analytique. Fuite, mais fuite nécessaire à la vie, à cette vie qui résiste à la mort.
Dans la mesure où le psychanalysé est amené à découvrir ce qui jouait à son insu dans sa soumission aux interdictions, et par là combien il était dominé par la crainte de déplaire, et le souci d’être regardé comme aimable, quelque chose tombe à ce niveau imaginaire où il restait suspendu à l’attente supposée de l’autre, à savoir le poids de la culpabilité liée au moindre manquement à répondre à cette attente. La chute de la culpabilité est la conséquence de cette découverte qu’on s’était laissé piéger aux rets de la demande de l’autre. Demande prise dans les partialités du désir de cet autre, lui-même névrosé. Il arrive souvent que l’on confonde l’issue morale d’une analyse avec ce qui se passe dans ses premiers temps lorsque le sujet, rencontrant pour la première fois quelqu’un qui ne le juge ni le condamne, s’estime autorisé à se laisser aller à ses envies. Ce moment passager n’est en rien une libération de la culpabilité engendrée par le défaut de réponse à la demande de l’autre. Pour être saisi comme figure d’un autre qui ne demande rien, l’analyste n’en reste pas moins pour le psychanalysant un autre imaginaire, dont la permissivité supposée fait pendant, dans le même registre, à l’exigence dans laquelle on était pris.
Il s’agit dans le processus de déculpabilisation propre à l’analyse de toute autre chose. L’accès aux désirs sans culpabilité n’est ouvert que par l’atteinte de ce primordial qui fait Loi. Atteinte qui a lieu au cours d’un processus ardu, pénible, pouvant aller jusqu’à l’angoisse. De telle sorte que la libération y est payée d’un prix si insupportable que le psychanalysant passe beaucoup de temps à se déprendre de la fascination de la demande de l’autre, et de cette sorte d’assurance qu’il trouve dans sa culpabilité.
C’est à partir de la reconnaissance de cet interdit fondamental, qui est en même temps son désir primordial, qu’il accepte ses désirs, et non en vertu de quelque permissivité. C’est à partir de là aussi qu’il donnera aux commandements une valeur qui ne tient plus à l’exigence de l’autre, mais au rapport qu’ils soutiennent pour lui avec la Loi de ce désir.
Ni l’amour, ni les serments, ni l’institution ne garantissent la durée du couple, car ils se heurtent à la différence, au défaut de la satisfaction, aux mensonges et au manque de crédit accordé à l’institution. Reste à chercher, dans la faille ainsi ouverte, dans l’absence de garantie, l’enjeu impossible à éluder qui peut fonder l’indissolubilité. Or, ce qui se pose dans l’absence des raisons est toujours de l’ordre d’une foi.
On est alors tenté de parler de la foi en l’autre. « Je te fais confiance, j’ai foi en toi, en la parole que tu m’as donnée. » Mais cette affirmation, cette foi dans le partenaire, implique la croyance qu’il satisfera toujours le désir d’être aimé, qu’il échappe donc aux vicissitudes de l’amour. Une telle confiance a été et est tant de fois trompée que l’on s’étonnerait de la voir encore affirmée, si l’on n’y reconnaissait l’indestructibilité du désir narcissique. Reconnaissons cependant qu’il est ici pertinent d’évoquer une foi. Il s’agit seulement de trouver sur quoi elle porte et d’où elle vient. La foi dont il s’agit dans l’absence de garantie ne peut fonder la permanence du couple que si, rompant avec la poursuite du mirage narcissique, elle prend en compte la différence, le fait que l’autre fait défaut à la satisfaction, bref, la déchirure inéluctable qui marque la relation de l’homme et de la femme. En ce cas, en effet, la foi surgit, non d’une confiance faillible dans la capacité du partenaire à répondre au désir narcissique, mais de ce qui est là entre l’homme et la femme, d’une absence qui tend à se faire reconnaître dans son visage de mort. Aussi la foi dont il s’agit ne saurait-elle s’accommoder du recours à un tiers qui, à défaut de l’autre ou de soi, pourrait assurer la satisfaction. Même le recours à Dieu des croyants, dans la mesure où il serait demandé à ce dernier de suppléer à une carence, de boucher un trou pour aboutir à ce que l’on désire, ne serait pas de mise, car il serait toujours porté par l’amour narcissique. La prise en compte de la différence et du manque ne peut être que radicale, et c’est par là seulement, dans la nuit et l’absence où l’on accepte d’entrer, que pourra surgir autre chose, la vérité même d’un désir mutuel et d’un amour inimaginables avant, passés par la mort.