Paris, Editions Salvator, 2009.
Macha Chmakoff est psychologue et psychanalyste. Elle est également peintre.
Le discours religieux peut conduire à un certain déni de la réalité complexe qu’est l’être humain. L’universalité du message peut impliquer comme corollaire un modèle psychologique universel des êtres humains. Tous doivent pouvoir mettre en oeuvre ce qui est proposé par l’idéal. La diversité des structures psychiques et des parcours personnels est difficilement prise en compte. A l’extrême, l’être humain peut être vu comme une personne sans pulsionnalité, sans inconscient. Lorsque ces dimensions et leurs implications sont ignorées c’est au risque de mettre en danger certains croyants et de perdre impact ou crédit auprès de nos contemporains. p. 48.
Le clivage du moi peut être orienté vers une recherche de jouissances non directement sexuelles. Un prêtre, un religieux peuvent être séducteurs sans toutefois commettre d’écarts répréhensibles. La conformité à la morale reste parfaite mais la recherche de gratifications de différents ordres est excessive et toujours non consciente, comme pour compenser une abstinence non intégrée en vue d’une vie réellement spirituelle. Ils peuvent se donner du pouvoir sans en avoir conscience en se rendant indispensables, en suscitant une admiration dont ils se défendent d’avoir voulu la provoquer. Mais là encore, c’est leur évolution humaine qui en pâtit. Ils deviennent de plus en plus divisés entre un style de vie dépouillé, conforme à leur engagement religieux, et un attachement en partie inconscient à de multiples satisfactions narcissiques. pp. 59-60.
Nous voyons le processus de régression à l’oeuvre chez des jeunes femmes et jeunes hommes qui s’engagent dans la vie religieuse, le plus souvent dans des nouvelles communautés, avant toute confrontation au monde des études supérieures ou du travail. Ces jeunes gens perçoivent confusément qu’ils seraient en difficulté pour s’insérer professionnellement ou socialement dans le monde d’aujourd’hui ou encore pour faire face à leur pulsionnalité. Ils se cachent derrière l’identité de religieux ou religieuse et passent de l’univers protégé de la famille à celui de la communauté. Ils se montrent capables d’un grand détachement. Le renoncement matériel vient en lieu et place du renoncement nécessaire à la dépendance envers des figures protectrices. pp. 61-62.
Le manque indique au sujet ce qu’il n’est pas, pour le faire advenir à ce qu’il est. Il l’invite à se tenir dans un espace austère et sacré comme dans un sanctuaire, sans certitudes factices, sans réassurances faciles, sans réponses immédiates. Là, le sujet peut être révélé à lui-même, progressivement. Découvrant qu’il n’est pas l’absolu. Apprenant à connaître ses qualité, ses capacités, ses aspirations, ses compromis inconscients, ses limites.
Il peut faire l’expérience d’une réconciliation inattendue entre fini et infini : à travers le respect du manque, sa finitude devient le réceptacle de l’absolu. Il lui sera révélé que l’amour est le seul absolu qui peut se vivre et se développer à l’intérieur même des limites de chaque être humain. p. 97.
La castration symbolique implique la souffrance de l’incomplétude et du dépouillement. Il est aisé de croire que la transformation humaine et spirituelle se fait en supportant nombre de souffrances (pénitences, efforts héroïques, injustices subies…) alors que ces souffrances peuvent n’avoir aucun effet humanisant. Elles peuvent, au contraire, être l’occasion d’obtenir divers bénéfices, comme de susciter l’admiration des autres ou de renforcer la bonne conscience, voire satisfaire un masochisme latent. La souffrance réellement humanisante est celle qui s’origine dans le renoncement à tout bénéfice, à toute assurance et à toute maîtrise ; celle qui vient de la confrontation courageuse au manque nu. p. 102.
La pauvreté enseigne le nécessaire consentement au manque dans le domaine de l’avoir, pour développer la disponibilité à la beauté de l’être des choses. Elle crée un espace entre soi et l’objet matériel. Celui-ci n’est plus considéré comme un simple « consommable » mais comme l’objet d’une relation. Il peut alors apparaître tel qu’en lui-même à celui qui le contemple. La pauvreté ouvre la voie à l’émerveillement et à la reconnaissance. Dans le même mouvement, elle donne la possibilité de transmettre et de partager. pp. 115-116.