La paternité spirituelle accompagne ce processus que l’on pourrait aussi bien définir comme une découverte par l’homme de sa propre intériorité, de son être profond. C’est l’affleurement d’un courant sous-marin, c’est l’éveil d’une sensibilité à des valeurs spirituelles et cette sensibilité est nouvelle : l’homme ancien ne la possédait pas. Le cœur s’éveille et devient l’organe de cette sensibilité spirituelle. J’oserais parler d’une plongée dans la réalité spirituelle, d’une immersion dans notre propre profondeur, qui nous fait toucher finalement notre réalité intérieure la plus secrète, aussi cette découverte réclame-t-elle une certaine stabilité, un repos, une non-activité. Il ne faut pas se dépenser pour obtenir un résultat. Il s’agit d’écouter, de demeurer ouvert et, jusqu’à un certain point de se laisser aller.


L’homme se sent vivre pleinement et intégralement à partir d’une source intérieure et cette expérience est bien plus universelle que l’ego empirique, extérieur : elle concerne le moi le plus profond. Et parce que cet homme a touché son fond le plus secret il est, en un certain sens, cosmique, il est devenu « l’homme universel ». Il a atteint une identité plus profonde et plus pleine que celle de son ego, qui n’est qu’un fragment de sa vie. En un sens, il s’est identifié à tous les hommes.


Rien n’est aussi libérateur, aussi constructif que le vrai repentir qui n’a plus rien de commun avec les sentiments de culpabilité éveillés par le gendarme intérieur : c’est le vrai repentir accueilli dans l’amour et la gratitude avec toute notre faiblesse et tout notre péché. Aussi les larmes de repentir sont-elles des larmes de re-naissance et de pleine naissance. Je puis exister dans l’amour de Dieu avec ma faiblesse et c’est dans cette faiblesse que la force de Dieu se manifeste. Aussitôt le gendarme intérieur maîtrisé – ce n’est pas l’affaire d’un instant ou d’un entretien, mais de toute une vie – le guide, ou mieux encore l’Esprit Saint prend les commandes.


La seconde idole, c’est mon image réfléchie comme dans un miroir, le Dieu créé à mon image et à ma ressemblance. Ce n’est pas moi qui suis fait à l’image et à la ressemblance de Dieu, c’est l’inverse : je crée une image idéalisée de moi-même. Cette image peut devenir une idole, et c’est souvent le cas. C’est un idéal spirituel et humain placé à une grande hauteur. Je voudrais devenir ce que je ne suis pas et je refuse d’être l’homme réel que je suis. En tout ce que je fais ou ne fais pas, je coule un regard de biais vers l’image réfléchie de moi-même dont, inconsciemment, j’ai fait mon Dieu.


Le disciple doit apprendre à se réconcilier non pas avec un idéal, mais avec sa réalité, c’est-à-dire avec ses limites, ses faiblesses, ses ambiguïtés, ses dualités, son péché ; il doit apprendre à coïncider, non pas avec son image réfléchie mais avec cette réalité concrète qu’il incarne.


Le guide spirituel doit examiner non seulement si le novice cherche vraiment Dieu, mais s’il cherche le vrai Dieu, s’il n’est pas en quête d’un faux Dieu, d’un Dieu qu’il porte en lui-même mais qui est une idole. Le vrai Dieu, dès qu’il est rencontré, crée l’homme libre. Le guide doit pouvoir lui-même rencontrer Dieu et avoir le sens de la vraie liberté. La liberté est le reflet de Dieu dans l’homme. Le guide doit pouvoir discerner ce qui se passe réellement chez l’autre, il doit mettre en œuvre cette faculté que les anciens appelaient diacrisis. Elle lui permettra d’apercevoir à quel point cet homme est encore enchaîné dans l’esclavage et risque de se refermer à jamais sur lui-même en dépit de ses apparences de piété et de vertu, et elle montrera où s’ouvre la voie vers la vraie liberté. Le guide doit être très attentif au gendarme intérieur et au miroir invisible.