Comment peut-on expliquer le vide existentiel ? Contrairement à l’animal, l’être humain n’est plus conseillé par ses instincts qui lui disent ce qu’il doit faire. Et par opposition avec les époques reculées, les traditions et les valeurs ne sont plus là pour lui inspirer sa conduite. Désormais, l’être humain ne sait plus ni ce qu’il doit, ni ce qu’il devrait faire, et parfois il ne sait pas même ce qu’il désire fondamentalement. Au lieu de cela, il est susceptible de vouloir faire ce que les autres font (conformisme) ou de faire ce que les autres souhaitent qu’il fasse (totalitarisme).


Le principe de plaisir non seulement contredit l’aptitude à l’auto-transcendance de la réalité humaine, mais aussi s’annule de lui-même. Il est une recherche de bonheur qui contrecarre le bonheur. Le bonheur ne saurait être un but que l’on poursuit. Il n’est qu’une conséquence. Le bonheur est accessible uniquement en tant que « produit dérivé », en tant qu’effet d’un vécu qui se caractérise par l’auto-transcendance de l’existence. Lorsque quelqu’un actualise un projet sensé, ou aime un autre être humain, le bonheur advient de lui-même. D’un autre côté, plus quelqu’un fait du bonheur une fin en soi plus le bonheur lui échappe.


Au niveau collectif, le vide existentiel entraîne une hypertrophie de la libido sexuelle. Il en résulte une inflation de sexualité, et au même titre que l’inflation dans le domaine monétaire, cela va de pair avec la dévaluation. Plus spécifiquement, la sexualité est dévaluée dans la mesure où elle est déshumanisée. Chez les êtres humaines, la sexualité est toujours davantage que le sexe. Elle est l’expression physique de la relation à un niveau humain ; elle est le véhicule d’une relation personnelle. En d’autres termes, la sexualité humaine est l’incarnation de l’amour.


En plus d’être ontologisées, les morales doivent aussi être existentialisées. Un médecin ne peut pas donner de sens à ses patients, ni un professeur donner du sens à ses étudiants. Cependant, ce que l’un et l’autre peuvent donner c’est un exemple, l’exemple existentiel de son implication personnelle en faveur de la recherche de la vérité. La réponse à la question de savoir ce qu’est le sens de la vie peut seulement être posée par tout l’être – c’est toute une vie d’un être humain qui constitue la réponse à la question du sens de la vie.


Autrefois, les gens qui ses sentaient frustrés dans leur quête de sens se tournaient vers un pasteur, un prêtre, ou un rabbin. De nos jours, ils encombrent les cliniques et les cabinets médicaux. Il en résulte que le psychiatre se trouve lui-même dans une situation embarrassante, parce qu’il se sait confronté à des problèmes humains plutôt qu’à des symptômes cliniques spécifiques. La quête humaine du sens n’est pas pathologique, elle est au contraire l’indice le plus certain de l’humanité de l’être humain. Même si sa quête est frustrée, cette frustration ne peut pas être considérée comme le signe d’une maladie. Il s’agit d’une détresse spirituelle, non d’une maladie mentale.


La recherche humaine du sens est la motivation fondamentale de la vie, et non pas une « rationalisation secondaire » des instincts qui gouvernent l’être humain. Ce sens est unique et spécifique dans la mesure où il doit être accompli par chacun ; et seul celui qui trouve ce sens satisfera sa propre volonté de sens. Pour certains auteurs ces significations et ces valeurs ne sont que « des mécanismes de défense », des « formations réactionnelles » et des « sublimations ». Mais en ce qui me concerne, je ne crois pas que ma vie soit toute entière investie par des « mécanismes de défense », et je ne serai certainement pas prêt à mourir au nom de mes « formations réactionnelles ». L’être humain, malgré tout, est capable de vivre et même de mourir pour la défense de ses idéaux et de ses valeurs !


La liberté est seulement une partie de l’histoire et la moitié de la vérité. La liberté est le versant négatif du phénomène positif de la responsabilité. En réalité, la liberté court le danger de dégénérer en abstraction si elle n’est pas vécue en termes de responsabilité.


Un être humain n’est pas un objet parmi d’autres objets ; les choses se déterminent entre elles, mais l’être humain est en dernière analyse autodéterminé. Ce qu’il devient – compte tenu des limites que lui impose son environnement interne et externe – il l’a choisi lui-même. Dans les camps de concentration, par exemple, à la fois véritables laboratoires et terrains d’observation, nous observions nos camarades, et nous sommes témoins que parmi eux, certains se sont conduits comme des salauds quand d’autres se conduisaient comme des saints. L’homme a en lui ces deux potentialités ; la question de savoir laquelle des deux sera actualisée ne dépend pas des conditions dans lesquelles, il se trouve, cela dépend entièrement de sa décision.


La société contemporain se distingue par le fait qu’elle valorise le succès et la réussite ; de ce fait, elle exalte et respecte davantage ceux qui en réussissant donnent l’image apparente du bonheur. Et, de fait, nous vivons dans une société qui voue un culte démesuré à la jeunesse. Cette société ignore profondément la valeur de tous ceux qui sont autrement, et, ce faisant, elle méconnaît la distinction fondamentale qui existe entre le fait de reconnaître à quelqu’un une valeur en terme de dignité ou bien en terme d’utilité.

Or, croyez-moi, si l’on méconnaît cette différence essentielle en maintenant que la valeur d’une personne se fonde uniquement sur son utilité actuelle, on ne doit qu’à l’inconséquence personnelle de ne pas plaider pour l’euthanasie, conformément au programme d’Hitler, c’est-à-dire, en exterminant tous ceux qui ont perdu toute utilité sociale, soit à cause du grand-âge, soit du fait d’une maladie incurable, soit encore parce qu’ils ont perdu leurs facultés intellectuelles ou du fait de tout autre handicap dont ils pourraient être affligés.

Confondre la dignité humaine avec l’utilité pure et simple de quelqu’un est le résultat d’une confusion conceptuelle qui nous vient directement du nihilisme contemporain, dûment cultivé et professé dans de nombreux milieux académiques et psychanalytiques.