Ne gardant aucun doute sur la vérité et l’erreur et possédant de ce fait la notion claire de sa grande force, la foule est aussi intolérante que pleine de foi en l’autorité. Elle respecte la force et ne se laisse que médiocrement influencer par la bonté qui ne représente pour elle qu’une sorte de faiblesse. Ce qu’elle exige de ses héros, c’est de la force et même de la brutalité. Elle veut être dominée et opprimée, et craindre son maître. En fait foncièrement conservatrice, elle a une profonde horreur de toutes nouveautés et de tous les progrès, et un respect sans borne de la tradition.


Le fait est que les signes perçus d’un état affectif sont de nature à susciter automatiquement le même affect chez celui qui perçoit. Cette compulsion automatique est d’autant plus forte que le nombre de personnes chez lesquelles se remarque simultanément cet affect est plus grand. Alors le sens critique de l’individu isolé est suspendu et celui-ci s’abandonne au même affect. Mais, ce faisant, il accroît l’excitation de ceux-là mêmes qui ont agi sur lui, et ainsi la charge affective des individus isolés s’intensifie par induction réciproque. Il est évident que là se manifeste quelque chose comme une compulsion à égaler les autres, à rester en harmonie avec le grand nombre. Plus les motions affectives sont grossières et simples, plus elles ont de chances de se propager de cette façon dans une foule.

Ce mécanisme de l’intensification des affects se trouve encore favorisé par quelques autres influences émanant de la foule. La foule produit sur l’individu isolé une impression de puissance illimitée et de danger invincible. Elle a pris pour un instant la place de l’ensemble de la société humaine, qui est porteuse de l’autorité, dont on a redouté les punitions, et pour l’amour de qui on s’est soumis à tant d’inhibitions. Il est manifestement dangereux de se mettre en contradiction avec elle, et l’on est en sécurité lorsque l’on suit l’exemple qui s’offre partout à la ronde, donc éventuellement même lorsqu’on « hurle avec les loups ».


Le caractère inquiétant, coercitif, de la formation en foule, qui se manifeste dans ses phénomènes de suggestion, peut donc bien être à bon droit expliqué par le fait que ceux-ci découlent de la horde originaire. Le meneur de la foule demeure toujours le père originaire redouté, la foule veut toujours être dominée par une puissance illimitée, elle est au plus haut degré avide d’autorité, elle a, selon l’expression de Le Bon, soif de soumission. Le père originaire, est l’idéal de la foule qui domine le moi à la place de l’idéal du moi.


Abandonné à lui-même, le névrosé est contraint de substituer ses formations de symptômes aux grandes formations de foules dont il est exclu. Il se crée son propre monde de fantasmes, sa religion, son système de délires et répète ainsi les institutions de l’humanité, avec une déformation qui témoigne nettement de la contribution par trop puissante des tendances sexuelles directes.