Le pré-burn-out ou le burn-out vient précisément de ce que la personne s’est donnée. est-ce à dire qu’elle s’est trop donnée ? Non ! Elle s’est mal donnée. Et ce mal-don, ce don pathologique est triple. Souvent, la personne en pré-burn-out ou en burn-out :

  1. n’a pas assez pris conscience qu’elle s’épuisait, ne s’est pas assez ressourcée, donc n’a pas assez reçu par rapport à ce qu’elle donnait ;
  2. ne s’est pas assez approprié les dons dont elle a bénéficié, par exemple n’a pas assez gardé en mémoire les signes de reconnaissance, et souffre aussi (et ainsi) d’un déficit de confiance en soi et d’estime de soi ;
  3. n’a pas donné en vérité, mais a secrètement fini par chercher un retour et à compter, avec une amertume et un cynisme grandissants, tous les manques de gratitude.

Ces trois dysfonctionnements correspondent aux trois moments du don : réception, appropriation (ou intériorisation) et donation.


Le psychiatre lyonnais continue : « L’être humain a bien plus peur du don reçu que du don donné. » Cette difficulté à recevoir un don tient à trois mécanismes : la méconnaissance du manque ; la méconnaissance de l’existence en dehors de soi d’une source de dons pour soi, par exemple celui qui m’a donné la vie ; l’illusion de pouvoir combler l’autre. Je ne suis l’origine ni de moi ni de l’autre.

Pour autant, nous recevons pour donner. Ainsi, lorsque le docteur Laupies parle d’une « priorité du recevoir sur le donner », il s’agit d’une priorité psychologique, et non pas ontologique. Comme l’affirme la parole de la constitution pastorale Gaudium et spes du concile Vatican II : « l’homme, seule créature sur terre que Dieu a voulue pour elle-même, ne peut pleinement se trouver lui-même que par le don sincère de lui-même. »


L’attitude du Sauveteur se caractérise par les traits principaux suivants : une prédisposition à deviner les besoins de l’autre ; une aide offerte sans mesure, avec chaleur et générosité ; une recherche d’affection et de reconnaissance, couplée avec une difficulté à exprimer ses propres besoins ; une faible estime de soi ; une gêne à recevoir et donc à entretenir des relations vraiment réciproques (donc d’amitié).


Pendant longtemps, témoigne un prêtre quinquagénaire, j’ai pris comme règle de conduite vis-à-vis des compliments une parole attribuée au curé d’Ars. Un paroissien le félicitait pour une de ses homélies. Le saint curé répondit : « Quelqu’un [sous-entendu « le grappin », c’est-à-dire le diable] m’a déjà dit cela… » J’ai appris aujourd’hui qu’il y a des compliments inutiles, d’autres qui aliènent, mais d’autres encore qui nourrissent l’estime de soi. J’ai aussi découvert que j’ai besoin de reconnaissance et qu’il y aurait beaucoup d’orgueil de ma part à croire que je peux m’en passer en permanence. Je m’inspire maintenant d’une autre maxime, qui vient de saint François de Sales : « Ne rien demander, ne rien refuser. » Mon attitude consiste alors à dire au bon Dieu : « Je ne vais pas aller à la pêche aux compliments. Mais je suis sûr que, dans ta Providence, tu me donneras exactement les retours dont j’ai besoin. »


Combien de dons de soi sont habités par un désir secret de reconnaissance ! D’ailleurs, souvent, cette attente de retour est inconsciente, et, davantage encore, involontaire. Ne rêvez toutefois pas d’accéder immédiatement à un don sincère et désintéressé. N’imaginez pas non plus que vous deviendrez un jour totalement transparents à vous-mêmes, au point que vous pourrez, par simple introspection, savoir que votre don est dénué de tout calcul. En revanche, sachez interpréter les signes que tel don que vous avez fait était impur et attendait secrètement un retour.

  1. Les signes affectifs sont l’amertume, le murmure, la colère sourde dirigés vers la personne ou l’instance accusée de manquer de reconnaissance, alors que vous lui avez tant donné…
  2. Ces sentiments se traduisent en différents actes : le reproche, l’accusation, la critique démesurée, le cynisme à l’égard des individus ou des institutions estimées responsables.
  3. Les calculs d’apothicaire, l’attente douloureuse de retour. Vous qui, auparavant, donniez sans mesure, vous vous surprenez soudain à compter le temps, l’argent, l’énergie, à comparer : « J’ai dépassé mon temps d’une heure l’autre jour et on vient me reprocher mon quart d’heure de retard. » Vous passez du « Je donne sans me faire payer » à « Je fais payer à l’autre d’avoir donné. »
  4. Souvent la rancoeur se dissimule derrière une prétendue neutralité affective ou une moquerie qui passe pour de l’esprit, alors qu’elle est pleine de fiel. Elle peut aussi se cacher longtemps : « Cet homme peut donner pendant des années. Mais un jour, il vous envoie la facture. »