Elégie douzième
I
O grand vent qui soulèves la voile des vaisseaux
et les anémones à la lisière des forêts ;
vent qui as soulevé l’âme du grand René,
lorsqu’il criait des mots amers aux grandes eaux ;
vent qui faisais trembler la case de Virginie,
et qui désoles les cours d’Automne du Sacré-Coeur ;
vent qui viens me parler à ma petite table :
je t’ai aimé toujours, que tu filtres le sable,
ou que tu envoies la pluie de droite à gauche, en face.
Berce-moi doucement. Sois pour mon pauvre coeur
l’ami que tu étais lorsque j’étais enfant.
Il y avait un grenier où j’allais souvent
t’écouter siffler sous les portes et par les fentes.
Et puis, je me mettais sur une caisse. De là,
je regardais la neige bleue de la montagne.
Mon coeur sautait. J’avais un petit tablier blanc.
Pleurer, mon Dieu ?… Je ne sais plus… J’avais quatre ans,
Oh ! La contrée natale… Qu’elle était transparente…
O vent, veux-tu, me dis que gardien de chèvre,
je donne ton baiser à ma flûte légère,
assis comme un poète au milieu des fougères?
Veux-tu faire se pencher vers moi comme des roses
toutes les bouches de toutes les jeunes filles ?
Dans quel pays mènes-tu mon rêve ?… Dans quel pays ?…
Des mules sont passées dans la neige d’aurore
qui portaient des vins noirs, du tabac et des filles.
II
O vent où se défont les Angelus légers,
ainsi que les pommiers fleuris dans les vergers ;
qui argentes et fais remuer la pelouse ;
qui fais sonner le pin et froisses l’arbousier ;
qui gonfles le nuage et le traines. O vent,
tu fais encore plus mon âme solitaire
quand je t’entends du fond de ma petite chambre.
Quand j’ai pleuré ou ri, ta voix m’accompagnait.
Lorsque je lis Jean-Jacques, c’est toi qui agites
dans les vieilles gravures les cimes forestières.
Je laisse aller mon âme. Je me dis : Je médite,
quand ma pensée se meurt à t’écouter parler.
C’est toi qui as conduit par l’océan verdâtre
mon aïeul s’en allant aux Antilles en fleurs.
Tu soufflais en tempête au sortir de la France.
La pluie, les grêlons rebondissants venaient battre
le hublot. Les cloisons craquaient. On avait peur.
Mais quand on approcha des heureuses Antilles
ta voix sourde se tut et tu éclatas de rire
en voyant, anxieuses, attendant sur le môle,
ainsi que des mouettes, les cousines créoles,
Oh ! Que je le revois, ce jour d’une autre vie.
Mon Dieu, y étais-je, dites, je vous en prie ?
Oui, je revois l’aïeul des cousines suivi,
montant la grand’rue de Saint-Pierre-de-Martinique.
Vent, tu avais soufflé dans les corolles vives
des tabacs, et soulevais les douces mousselines
qui étaient les calices légers des cousines.
C’est pour ça, vent qui souffles, que tu es mon ami.
Je sais ce que tu sais. Je t’aime comme un frère.
Je souhaite ton bonheur d’errer dans les ormeaux.
Je sais que tes milliers de coeurs sont les oiseaux.
Je sais que je comprends le sens de tes paroles.
Je sais que les baisers des cousines créoles
sont passés avec toi aux roses du jardin,
parmi la rosée rose et bleue de ce matin.
Le poète et l’oiseau
L’oiseau
J’ai été bien souffrant toute l’année dernière.
Un chasseur m’avait mis un grain de plomb sous l’aile.
De mon bec, j’écrasais sur une pierre humide
une feuille de menthe mêlée à l’argile.
Je l’appliquais sous l’aile et sur le sang caillé.
Tous les matins, quand me réveillait la rosée,
j’étirais doucement mon aile endolorie,
et je recommençais le petit traitement
du petit cataplasme à la feuille de menthe.
Maintenant je suis bien et je prie le Bon-Dieu.
Le poète
As-tu vu le Bon-Dieu, quand tu volais aux cieux ?
L’oiseau
Non. Le Bon-Dieu n’est pas en haut. Il est en bas.
Il habite la petite maison que tu vois
où il y a une fontaine et des oeillets sauvages
et un chien qui s’endort aux mouches de l’étable.
Souvent, sur un sorbier, j’ai vu, en me penchant,
la bêche du Bon-Dieu qui luisait dans l’aurore
à côté de sa petite chèvre désobéissante
qui fait des milliers de petites crottes.
Dieu se lève au matin et se couche à la nuit
lorsque sourient et que se détrempent les roses.
Il sait tous les besoins qui sont au coeur des choses :
Lorsque l’herbe est trop sèche il y met de la pluie.
Il soigne l’aubergine, la courge et la laitue.
Il sème le bon grain dont il sait la vertu.
Son raisin parfumé chante, quand vient l’octobre,
dans ses tonnes usées aux couronnes d’osier.
Quand il parle, sa voix douce comme un baiser
fait que son chien se lève et secoue son collier.
Dieu est vieux, mais il se porte bien et conduit
sur les pelouses vertes des noires cimes alpestres
où les lapins battent du tambour pendant la nuit,
la brebis huileuse et la maigre chevrette.
Souvent, je l’ai suivi, le long des ravins gris,
appelé par ma soeur qui est sa flûte de buis.
Et, voltigeant sur le troupeau, de corme en corme,
je descendais parfois sur les croupes de laine
pour y piquer le grain qu’y déposait l’automne.
Prière pour aller au paradis avec les ânes
Lorsqu’il faudra aller vers vous, ô mon Dieu, faites
que ce soit par un jour où la campagne en fête
poudroiera. Je désire, ainsi que je fis ici-bas,
choisir un chemin pour aller, comme il me plaira,
au Paradis, où sont en plein jour les étoiles.
Je prendrai mon bâton et sur la grande route
j’irai, et je dirai aux ânes, mes amis :
Je suis Francis Jammes et je vais au Paradis,
car il n’y a pas d’enfer au pays du Bon-Dieu.
Je leur dirai : Venez, doux amis du ciel bleu,
pauvres bêtes chéries qui, d’un brusque mouvement d’oreille,
chasses les mouches plates, les coups et les abeilles…
Que je vous apparaisse au milieu de ces bêtes
que j’aime tant parce qu’elles baissent la tête
doucement, et s’arrêtent en joignant leurs petits pieds
d’une façon bien douce et qui vous fait pitié.
J’arriverai suivi de leurs milliers d’oreilles,
suivi de ceux qui portèrent au flanc des corbeilles,
de ceux traînant des voitures de saltimbanques
ou des voitures de plumeaux et de fer-blanc,
de ceux qui ont au dos des bidons bossués,
des ânesses pleines comme des outres, aux pas cassés,
de ceux à qui l’on met de petits pantalons
à cause des plaies bleues et suintantes que font
les mouches entêtées qui s’y groupent en ronds.
Mon Dieu, faites qu’avec ces ânes je vous vienne.
Faites que dans la paix, des anges nous conduisent
vers des ruisseaux touffus où tremblent des cerises
lisses comme la chair qui rit des jeunes filles,
et faites que, penché dans ce séjour des âmes,
sur vos divines eaux, je sois pareil aux ânes
qui mireront leur humble et douce pauvreté
à la limpidité de l’amour éternel.