Notre Seigneur ne dit pas qu’il faille se réfugier dans la prière, pour y être tranquille, pour se croiser les bras, sans se soucier de la moisson, pour faire doucement son petit salut à l’abri du soleil et de la pluie. Non pas, non pas. Il entend que la prière soit une œuvre de dévouement apostolique, et la première œuvre de dévouement apostolique ; puisque c’est elle qui précède et c’est elle qui procure l’envoi des ouvriers. Il faut les deux choses : la prière et les ouvriers. La prière précède et les ouvriers suivent ; et si la prière ne précède pas, les ouvriers n’arriveront pas. Et si la prière ne fait pas arriver les ouvriers, elle manque son but.
Voilà indiquées l’union des deux ministères et leur coopération mutuelle au grand œuvre de la moisson des âmes. Ils ne doivent jamais être séparés ; car ils ne pourraient l’être, sans manquer, l’un de sa vie, l’autre de son objet. Si les contemplatifs ne prient pas pour les hommes d’action, ils courent risque de n’être que des rêveurs sans objet pratique. Si l’action apostolique n’est pas vivifiée par la prière contemplative, elle dégénère trop vite en agitation maladive, sans autre résultat que la décadence.


Ne faudrait-il point, à l’heure présente, rappeler aux âmes d’héroïsme, que le dévouement le plus divin est là, que la partie première de l’œuvre apostolique est là ? En face des immenses nécessités de l’Eglise, cette vocation n’est-elle pas trop délaissée, parce qu’elle est trop ignorée ? Et n’est-elle pas trop ignorée, parce qu’on ne croit plus assez pratiquement à son efficacité apostolique ? Et si on ne croit plus à son efficacité apostolique, n’est-ce point qu’on s’est trop habitué à la considérer comme une œuvre égoïste de salut individuel ? La notion éminente de son rôle s’est effacée, et les âmes généreuses ne se sentent plus attirées vers elle. Elle est la grande délaissée et la grande ignorée, en un temps où on n’eut jamais plus besoin d’elle.


Dans le monde, les roses sont à la surface et les épines dessous ; l’huile est au dehors, le vinaigre au dedans : les apparences sont séduisantes, les réalités affreuses. Dans la religion, les épines sont au dehors, le fruit au dedans ; le vinaigre est à la surface, l’huile au-dessous : les apparences sont redoutables, les réalités délicieuses. Pour les aimer, il faut voir le monde par le dehors et la religion par le dedans. Les êtres de superficie restent dans le monde, qu’ils aiment et qui les abuse ; les cœurs les plus profonds entrent en religion.