Paris, Editions Ad Solem, 2010.

Pierre Rousselot (1878-1915), prêtre de la Compagnie de Jésus, a été professeur de théologie dogmatique à l’Institut catholique de Paris et a soutenu deux thèses en Sorbonne : L’intellectualisme de saint Thomas et Pour l’histoire du problème de l’amour au Moyen Âge. Mobilisé comme sergent, il meurt aux Eparges, le 25 avril 1915, à l’âge de 37 ans.


« Mon Seigneur et mon Dieu ! » « Vraiment cet homme était le fils de Dieu ! » Dans ces cris du centurion converti et de l’apôtre redevenu fidèle, la tradition a vu toujours et l’introduction et la manifestation de la foi. Il n’y a point là de place pour un « jugement » distinct « de crédibilité ». Mais ces paroles qu’a rapportées l’Evangile illustrent aussi très heureusement un autre caractère de cette induction rapide et surnaturelle qui nous paraît expliquer la croyance plus heureusement que ce qu’on entend d’ordinaire par « démonstration de la crédibilité ». Voici en quoi consiste ce dernier caractère.
Les signes extérieurs qui font voir sont d’une variété surprenante : sainteté d’un bon prêtre, guérison d’un malade, impression laissée par une fête religieuse, etc. Mais toujours un tel signe est connu et comme un fait certain, tissu dans l’ensemble de l’expérience humaine, et comme l’indice d’une vérité nouvelle à l’ordre de laquelle il appartient. On le connaît donc sous un nouvel aspect, comme faisant partie d’un autre monde, le monde surnaturel. Aussi beaucoup de théologiens disent-ils que l’objet formel de la connaissance est nouveau. L’objet formel de l’intelligence naturelle, c’est l’être naturel, approprié à la fin naturelle ; l’objet formel de la connaissance de foi, c’est l’être surnaturel, appartenant à l’ordre de la grâce, moyen pour conduire à la vision intuitive.
Un même être peut donc appartenir à l’ordre naturel de notre expérience et à l’ordre surnaturel de la grâce, et la grâce intérieure n’offre pas de nouveaux objets à connaître, mais illumine dans l’objet déjà connu un aspect nouveau. Ainsi, la suave disposition de la Providence divine, sans choc, sans rupture dans la vie consciente, sans heurt, sans invasion violente, continue par l’illumination de la grâce les clartés de la connaissance naturelle, et nous fait voir, dans le cercle même des objets auxquels nous nous intéressions, des indices du monde supérieur. Discerner en eux une nature nouvelle, c’est pénétrer plus limpidement et plus à fond leur réalité. L’apôtre Thomas « vit l’homme et crut le Dieu », comme disent très exactement les Pères. Mais le Dieu et l’homme, c’était un même Christ Jésus. Beaucoup en notre temps ont vu Rome, c’est-à-dire une institution magnifiquement humaine, supérieurement raisonnable et civilisatrice, et ont cru l’Eglise, c’est-à-dire la mère des enfants de Dieu, l’épouse du Christ, la maîtresse du salut : les deux connaissances sont bien différentes, et la première se trouve parfois sans la seconde. Et, pourtant, Rome c’est l’Eglise, et l’Eglise, c’est Rome. pp. 36-37.


Il y a causalité réciproque entre l’hommage qu’on choisit de rendre à Dieu (obœditio fidei, pius affectus credendi) et la perception de la vérité surnaturelle. Du même coup, l’amour suscite la faculté de connaître et la connaissance légitime l’amour. Sans qu’un « jugement de crédibilité » ait précédé, l’âme instantanément croyant peut s’écrier : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » Election libre et connaissance certaine s‘unissent dans cet éclair, mais ne se confondent pas. Car l’élection porte sur le bien divin, sur la voie et la vie nouvelles qu’on choisit, et non directement sur la connaissance comme telle. Et l’intelligence, malgré l’ardente atmosphère d’amour qui peut-être l’environne, peut percevoir avec pleine sécurité le caractère souverainement raisonnable et légitime du parti qu’elle prend. p. 50.