Trocy-en-Multien, Editions Conférence, 2022.
Après avoir étudié la médecine pendant quatre ans et s’être diplômé en Sciences de l’Education, Alejandro Oliveros (né au Venezuela en 1948) décide de se consacrer à la littérature et la poésie. En 1971, il fonde la revue Poesia, et Torrida, le magazine culturel de l’Université de Carabobo. Parallèlement, il enseigne à l’Ecole des Beaux-Arts. Il publie Espaces, son premier recueil de poésies, en 1974. De 1976 à 1978, il prend à Caracas la direction littéraire du Conseil National de la Culture, avant de travailler à un ouvrage sur la poésie américaine à New York, au titre d’une bourse de la Fondation Guggenheim. Il revient dans son pays où il devient titulaire de la Chaire de Littérature Anglaise et Américaine à l’Université Centrale du Venezuela. Il publie de nombreux livres (poésie, essais, traductions), ainsi que treize volumes de son Journal littéraire, édités d’abord dans son pays, puis en Colombie. Mais la profonde crise politique au Venezuela a considérablement limité l’espace d’exercice de la littérature et la liberté de l’enseignement. Alejandro Oliveros réside à Milan depuis 2020. C’est ce sentiment d’exil qu’il nous livre.
Perdida del reino
« Y el pesar de no ser… »
¿A dónde irá a dar la piel
de estos valles musicales,
con sus aromas,
a guayaba y miel?
Estos remansos y canales
para los días de sed,
¿frente a qué mares
o lagos y corrientes,
terminarán después?
Las colinas doradas
de estos senos,
recorridos a ciegas
en claras madrugadas,
¿bajo qué cielo
van a despertar mañana?
Ultima mirada
para este reino
de turgentes carnes
y lisura de manzanas
que estaba para mí. p.16.
Le Royaume perdu
« Et le chagrin de n’être pas…»
Que deviendra la peau
de ces vallées musicales
aux arômes
de miel et de goyave ?
Ces marais, ces canaux
pour la soif des jours,
à quels océans,
lacs ou rivières
sont-ils destinés ?
Les collines dorées
de ces seins
parcourus à l’aveugle
en de claires aurores,
sous quel ciel
s’éveilleront-elles demain ?
Dernier regard
sur ce royaume
aux chairs denses
et lisses telles des pommes
— qui m’était promis. p.17.
Mesas
Hemos aprendido
a comer
en mesas vacías.
Las sillas sobran
en nuestras casas.
Ya nadie se sienta
a compartir el aroma
de los hervidos,
ni los humos
de nuestras brasas.
Primero fueron
las apresuradas maletas
de los hijos. Después,
con sus libros bajo el brazo,
le tocó a los amigos,
por todo el mundo
pidiendo asilo.
Nuestras mesas
han perdido el equilibrio,
dos en una punta,
cuatro en el vacío. p. 20.
Tables
Nous avons appris
à manger
sur des tables vides.
Des chaises en trop
dans nos maisons.
Plus personne ne s’assied
pour partager
l’arôme d’un pot-au-feu
ni les fumées
de nos braises.
Ce furent d’abord
les valises précipitées
de nos enfants. Puis
ce fut le tour des amis,
leurs livres sous le bras,
demandant asile
de par le monde.
Nos tables
ont perdu leur équilibre,
un de chaque côté,
quatre dans le vide. p. 21.
Mesa de trabajo
En las horas más pequeñas,
antes de que los gallos
se pierdan en el cielo,
escribo entre tus piernas,
donde quedaron
mis plumas y libros en el suelo.
Es mi mesa de trabajo,
aquí escribo con mis dedos
los cuentos y poemas
en las hojas de tu cuerpo.
En una casa lejana han quedado
todos mis libros y papeles,
las ediciones de Catulo y Horacio
y el teatro entero de Shakespeare.
Lejos de mis cuadernos, solo
me queda el papel de tus pieles
en estas horas tan pequeñas,
cuando son ciegas las paredes. p. 22.
Table de travail
Au petit matin,
avant que les coqs
ne se perdent dans le ciel,
j’écris sur tes jambes
et restent au sol
mes plumes et mes livres.
Voici ma table de travail :
ici j’écris de mes doigts
contes et poèmes
sur les feuilles de ton corps.
Dans une maison lointaine sont restés
tous mes livres et mes papiers,
les éditions de Catulle et d’Horace
et le théâtre complet de Shakespeare.
Loin de mes cahiers, seul
me reste le papier de ta peau,
en ce si petit matin
où les murs sont aveugles. p. 23.
Mapas
Somos habitantes
sin calles ni plazas.
Las fronteras de esta tierra
no se corresponden
con nuestros mapas.
Las montañas son más
frías, pero menos altas;
lors ríos más tranquilos,
sin boas ni pirañas;
los llanos existen, aunque
sin las sequías que matan;
y los mares son azules,
mas sin uvas en las ramas.
No nos encontramos
en estas cartas;
en la rosa de los vientos
no se ve una ventana.
Nuestros bordes
se perdieron, y con ellos
nuestro norte
y nuestras casas. p. 30.
Cartes
Nous sommes des habitants
sans rues ni places.
Les frontières de cette terre
ne correspondent pas
à nos cartes.
Les montagnes sont plus froides
mais moins hautes ;
Les fleuves plus paisibles,
sans boas ni piranhas ;
il y a bien de plaines,
mais sans sécheresses mortelles,
et les mers sont bleues,
mais sans raisins sur les rameaux.
On ne nous trouvera pas
sur ces cartes ;
sur la rose des vents,
aucune fenêtre.
Nos rivages
se sont perdus, et avec eux
notre nord
et nos demeures. p. 31.