Paris, L’Harmattan, coll. « Les introuvables », 2003.
Ernest Psichari (1883-1914) est un officier et écrivain français. Lieutenant dans les troupes coloniales, il est déployé en Mauritanie de 1909 à 1912. Il est d’abord réticent à l’idée de servir dans une région de l’empire colonial français relativement pacifiée, mais il tombe amoureux des paysages et du peuple mauritaniens. Converti au catholicisme à la fin de sa vie, il combat en Belgique durant la Première Guerre mondiale et meurt à l’âge de 30 ans.
Alors commence pour Maxence une vraie vie de solitude et de silence. Là, dans ce carré de trente mètres, n’ayant plus même le bourdonnement des départs et des arrivées, il apprit réellement ce qu’est la solitude, enfouie au sein même de la silencieuse nature. Car la Règle de l’Afrique est le silence. Comme le moine, dans le cloître, se tait, ainsi le Désert, en coule blanche, se tait. Tout de suite le jeune Français se plie à la stricte observance, il écoute pieusement les heures tomber dans l’éternité qui les encadre, il meurt au monde qui l’a déçu. p. 20.
Là-bas, sous les latitudes de sa naissance, Maxence voyait une plaine couleur de plomb, l’air raréfié, l’oppression d’un ciel de cuivre, l’aigre rire et le méchant lieu commun, le lourd bon sens, des voix de fausset qui discutent. Mais ici la sainte exaltation de l’esprit, le mépris des biens terrestres, la connaissance des choses essentielles, la discrimination des vrais biens et des vrais maux, la royale ivresse de l’intelligence qui a secoué ses chaînes et se connaît. Là-bas, ceux qui font profession de l’intelligence et qui en meurent, ici, ceux qui sont doux et pauvres d’esprit. Là-bas, les rassasiés et les contents d’eux-mêmes, les sourires épanouis, les ventres larges. Ici, les fronts soucieux, la prudence devant l’ennemi, l’œil circonspect. p. 27.
– Mon Dieu, je vous parle, écoutez-moi ! Je ferai tout pour vous gagner. Ayez pitié de moi, mon Dieu, vous savez qu’on ne m’a pas appris à vous prier. Mais je vous dis, comme votre Fils nous a dit de vous dire, je vous dis de tout mon amour, comme mes pères vous l’ont dit autrefois : « Notre Père, qui êtes aux cieux, que Votre Nom soit sanctifié… Que Votre Règne arrive… Que Votre Volonté soit faite sur la terre comme au ciel… »
O larmes, qui êtes la troisième Béatitude, larmes de joie et de paix, larmes des retrouvailles et du recommencement, coulez sur cette face de douleur ! Aidez cette voix qui tremble et ces lèvres qui hésitent ! Elles ne savent pas – ces mots sont si nouveaux pour elles ! – et pourtant la merveilleuse Parole accourt du fond des âges, du fond de l’éternité, portée sur la colombe de l’Esprit. Alors, la voix se fait plus forte et plus pressante :
« Donnez-nous aujourd’hui notre pain de chaque jour ; pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés… et ne nous laissez pas succomber à la tentation, mais délivrez-nous du mal. Ainsi soit-il ! »
Qu’elle est belle, la première prière ! Qu’elle est bénie et précieuse au Seigneur ! Que les Anges du ciel l’écoutent avec joie ! Allons ! pauvre homme, relève-toi ! Voici que Jésus n’est pas loin, et qu’Il va venir et qu’Il ne peut tarder ! Déjà tu regardes avec tranquillité la terre de la réconciliation et le soir de ta consolation. Reprends ta route. Espère la plénitude de ton cœur, et dans la force de ton âge nouveau, et le reste te sera donné par surcroît…
– Mais quoi ! Seigneur, est-ce donc si simple de vous aimer ? pp. 105-106.