La souveraineté n’est en soi nécessairement liée à aucune forme politique ; elle peut fort bien s’adapter à celle-ci ou à celle-là, pourvu qu’elle soit de fait apte à l’utilité et au bien commun. Mais, quelle que soit la forme de gouvernement, tous les chefs d’Etat doivent absolument avoir le regard fixé sur Dieu, souverain Modérateur du monde, et, dans l’accomplissement de leur mandat, le prendre pour modèle et règle. De même, en effet, que dans l’ordre des choses visibles, Dieu a créé des causes secondes, en qui se reflètent en quelque façon la nature et l’action divines, et qui concourent à mener au but où tend cet univers; ainsi a-t-il voulu que dans la société civile, il y eût une autorité dont les dépositaires fussent comme une image de la puissance que Dieu a sur le genre humain, en même temps que de sa Providence. Le commandement doit donc être juste ; c’est moins le gouvernement d’un Maître que d’un Père, car l’autorité de Dieu sur les hommes est très juste et se trouve unie à une paternelle bonté. Il doit, d’ailleurs, s’exercer pour l’avantage des citoyens, parce que ceux qui ont autorité sur les autres en sont exclusivement investis pour assurer le bien public. L’autorité civile ne doit servir, sous aucun prétexte, à l’avantage d’un seul ou de quelques-uns, puisqu’elle a été constituée pour le bien commun. Si les chefs d’Etat se laissaient entraîner à une domination injuste, s’ils péchaient par abus de pouvoir ou par orgueil, s’ils ne pourvoyaient pas au bien du peuple, qu’ils le sachent, ils auront un jour à rendre compte à Dieu, et ce compte sera d’autant plus sévère que plus sainte est la fonction qu’ils exercent et plus élevé le degré de la dignité dont ils sont revêtus.
Si la nature et la raison imposent à chacun l’obligation d’honorer Dieu d’un culte saint et sacré, parce que nous dépendons de sa puissance et que, issus de lui, nous devons retourner à lui, elles astreignent à la même loi la société civile. Les hommes, en effet, unis par les liens d’une société commune, ne dépendent pas moins de Dieu que pris isolément; autant au moins que l’individu, la société doit rendre grâce à Dieu, dont elle tient l’existence, la conservation et la multitude innombrable de ces biens. C’est pourquoi, de même qu’il n’est permis à personne de négliger ses devoirs envers Dieu, et que le plus grand de tous les devoirs est d’embrasser d’esprit et de coeur la religion, non pas celle que chacun préfère, mais celle que Dieu a prescrite et que des preuves certaines et indubitables établissent comme la seule vraie entre toutes, ainsi les sociétés politiques ne peuvent sans crime se conduire comme si Dieu n’existait en aucune manière, ou se passer de la religion comme étrangère et inutile, ou en admettre une indifféremment selon leur bon plaisir. En honorant la Divinité, elles doivent suivre strictement les règles et le mode suivant lesquels Dieu lui-même a déclaré vouloir être honoré. Les chefs d’Etat doivent donc tenir pour saint le nom de Dieu et mettre au nombre de leurs principaux devoirs celui de favoriser la religion, de la protéger de leur bienveillance, de la couvrir de l’autorité tutélaire des lois, et ne rien statuer ou décider qui soit contraire à son intégrité. Et cela ils le doivent aux citoyens dont ils sont les chefs.
Oui, en vérité, tout ce qu’il peut y avoir de salutaire au bien en général dans l’Etat ; tout ce qui est utile à protéger le peuple contre la licence des princes qui ne pourvoient pas à son bien, tout ce qui empêche les empiétements injustes de l’Etat sur la commune ou la famille; tout ce qui intéresse l’honneur, la personnalité humaine et la sauvegarde des droits égaux de chacun, tout cela, l’Eglise catholique en a toujours pris soit l’initiative, soit le patronage, soit la protection, comme l’attestent les monuments des âges précédents.
Toujours conséquente avec elle-même, si d’une part elle repousse une liberté immodérée qui, pour les individus et les peuples, dégénère en licence ou en servitude, de l’autre elle embrasse de grand coeur les progrès que chaque jour fait naître, si vraiment ils contribuent à la prospérité de cette vie, qui est comme un acheminement vers la vie future et durable à jamais. Ainsi donc, dire que l’Eglise voit d’un mauvais oeil les formes plus modernes des systèmes politiques et repousse en bloc toutes les découvertes du génie contemporain, c’est une calomnie vaine et sans fondement. Sans doute, elle répudie les opinions malsaines, elle réprouve le pernicieux penchant à la révolte, et tout particulièrement cette prédisposition des esprits où perce déjà la volonté de s’éloigner de Dieu ; mais comme tout ce qui est vrai ne peut procéder que de Dieu, en tout ce que les recherches de l’esprit humain découvrent de vérité, l’Eglise reconnaît comme une trace de l’intelligence divine ; et comme il n’y a aucune vérité naturelle qui infirme la foi aux vérités divinement révélées, que beaucoup la confirment, et que toute découverte de la vérité peut porter à connaître et à louer Dieu lui-même, l’Eglise accueillera toujours volontiers et avec joie tout ce qui contribuera à élargir la sphère des sciences; et, ainsi qu’elle l’a toujours fait pour les autres sciences, elle favorisera et encouragera celles qui ont pour objet l’étude de la nature. En ce genre d’études, l’Eglise ne s’oppose à aucune découverte de l’esprit; elle voit sans déplaisir tant de recherches qui ont pour but l’agrément et le bien-être ; et même, ennemie-née de l’inertie et de la paresse, elle souhaite grandement que l’exercice et la culture fassent porter au génie de l’homme des fruits abondants. Elle a des encouragements pour toute espèce d’arts et d’industries, et en dirigeant par sa venu toutes ces recherches vers un but honnête et salutaire, elle s’applique à empêcher que l’intelligence et l’industrie de l’homme ne le détournent de Dieu et des biens célestes.