Vivre avec soi, en soi, vouloir se gouverner soi-même et ne pas se laisser gouverner par le dehors, réduire l’imagination, la sensibilité et même l’intelligence et la mémoire au rôle de servantes de la volonté et conformer sans cesse cette volonté à celle de Dieu est un programme que l’on accepte de moins en moins, en ce siècle d’agitation qui a vu naître un idéal nouveau : l’amour de l’action pour l’action.
Pour éluder cette discipline des facultés, tous les prétextes sont jugés bons : affaires, sollicitudes de famille, hygiène, bonne renommée, amour de la patrie, prestige de la corporation, prétendue gloire de Dieu tentent à l’envi de nous empêcher de vivre en nous-mêmes. Cette sorte de délire de la vie hors de soi arrive même à exercer sur nous un attrait irrésistible.
Faut-il s’étonner dès lors que la vie intérieure soit méconnue ? p. 37.
L’homme surnaturel est esclave du devoir, et c’est pourquoi, avare de son temps, il en ordonne l’emploi et vit d’un règlement. Il comprend que, hors de là, c’est le naturalisme, la vie commode et le caprice, depuis le lever jusqu’au coucher.
L’homme d’œuvres sans base surnaturelle ne tarde pas à en faire l’expérience. Le manque d’esprit de foi dans l’emploi du temps le conduit à cesser sa lecture spirituelle. D’autre part, s’il lit encore, il n’étudie plus. C’était bon pour les Pères de l’Eglise de préparer toute la semaine l’homélie du dimanche. Il préfère, à moins que la vanité ne soit en jeu, improviser, et toujours, il le croit du moins, le fait avec un rare bonheur… Il donne la préférence aux revues sur les livres. Plus d’esprit de suite. Il papillonne. La loi du travail, cette grande loi de préservation, de moralisation et de pénitence, il s’y dérobe par le gaspillage des heures libres, et le soin démesuré de se procurer des distractions.
Il trouve fatigant et de pure théorie ce qui emprisonnerait sa liberté d’allures. Son temps ne lui suffit pas pour tant d’œuvres et de devoirs sociaux, et même pour ce qu’il considère comme nécessaire pour sa santé et ses récréations. Vraiment, lui dit Satan, il y a trop d’instants consacrés aux exercices de piété : méditation, office, messe, actes du ministère. Il faut élaguer. Et invariablement il commence par écourter la méditation, à la faire irrégulièrement et peut-être, hélas ! il en vient peu à peu à la supprimer tout à fait. Le point indispensable pour rester fidèle à l’oraison, le lever à l’heure fixe, est d’autant plus logiquement abandonné qu’il ne se couche plus qu’assez tard, et pour cause. pp.122-123.