Solesmes
Les moines en leurs larges coules noires,
Alors que commençait le grand silence,
S’agenouillaient une dernière fois.
Dehors, je retrouvais dans sa naissance,
Ma fidèle amie, celle auprès de qui,
Un grand poète y fait son paradis.
Alors dans un rayon, elle s’attendrit :
« Laisse derrière toi l’année écoulée,
Pour bougies, toute ronde me voici,
Accueille la nouvelle dans ma clarté. »
Vallée du Célé
– Qu’allais-tu donc chercher sur le chemin sinon
La sécheresse, la soif et la lassitude ?
– Oui, ces misères ont été mes compagnons.
Ajoute à ta liste silence et solitude.
– Alors quel appel supérieur et quel ressort
Ont eu raison du si délicieux confort ?
– Une humble sagesse adversaire d’acédie
Qui de la trompeuse paresse est l’ennemi.
Elle m’invite à taire un instant mon quotidien,
Oublier mon superflu et mon saint-frusquin ;
Dans la nature, dans la bise, deviner
Le divin peintre, le poète inégalé.
Les cloches des troupeaux croisés sont les prémices
De celles des moines appelant aux offices,
Une supplique répétée à revêtir
L’habit de berger, l’allégresse pour servir.
Et quelle solitude plus légère quand on
Porte en son cœur, en ses prières, ses amis ?
Le chapelet devient le plus sûr des bourdons.
Aussi, lorsqu’en l’Assomption, ô jour béni,
Quelle joie de confier à la douce Vierge
Notre belle France selon le vœu de Louis XIII.
Les Ecrins
Nouveau Moïse gravissant la montagne sainte,
Invoque, abandonne-toi dans la douce étreinte
De la bise où l’Eternel parle. Médite
Sur ce paradis où les saisons cohabitent.
Printemps, éclatant de mille fleurs et fragrances ;
Été, sous tes rayons, les marmottes pavoisent ;
Automne, déployant ta palette de teintes ;
Hiver aux glaciers et torrents couleur turquoise.
Les cascades sont ici voiles de mariées,
Le jeune faon du Cantique des cantiques,
Un chamois agile dans un Éden mythique.
Vient alors le temps de la descente attristée,
Celui de la poésie, de la souvenance
Qui laisse dire : Heureux comme Dieu en France.
Combleux
Dragon endormi au bord de la Loire,
Étendu, pétrifié, fin de l’histoire ?
Arche oublié ou paradis : Combleux.
Le grand horloger y semble venir,
Quand décline ce jour, s’y assoupir
Las, plissant dans un rayon les yeux.
A la mer
Bonsoir ma douce amie, excusez l’importun
Inconstant que je suis, qui vient en pèlerin
Après une absence remplie de mille riens,
d’une évanescence et de perlimpinpin.
Laissez donc que l’on plie le genou et adore
Vos mystérieux abysses qui cachent faune, flore
Sous votre chevelure caressée par noroît
Et dont l’onde augure de nos marins l’effroi.
Miroir de nos âmes, reflet de nos passions,
Vos filles sont nos larmes, vos fils nos déraisons.
Permettez que la tête posée au creux des seins
De vos vaguelettes je rêvasse à demain.
Dans cette adoration, ô mer tu t’effaças
Pour que nous n’oublions Ave maris stella
Et qu’ainsi Notre Dame, phare de la Lumière,
Médiatrice des âmes, guide notre if au Père.
Cahors
Si la marche assoiffe et assèche, elle ressource et apaise ;
Si la fatigue se fait sentir, bientôt les jambes et les pieds endoloris empruntent ses ailes à Mercure ;
Si les pensées abondent, s’entrechoquent, délirent, elles laissent place ensuite à un grand vide où l’esprit semble parti ailleurs ;
Si la faim tiraille le ventre, bien vite inutile pleureuse, elle se fait alors discrète et timide compagne.
Et toutes ces âpretés, le caillou aigüe ou l’argile collante, le soleil qui brûle, la pluie qui trempe, ne sont sans commune mesure avec la beauté de la nature, le sourire de l’hôte, le repas offert sur la route, le verre de vin de Cahors qui réchauffe le cœur, l’oratoire où s’agenouiller un instant, la prière du soir qui remercie aujourd’hui et confie demain.
Ainsi, il n’y a pas de Passion sans Pâques, nulle souffrance sans charité, et les mille petites peines sont peu devant ces grandes joies dilatant le cœur capable de plus. La cendre du Phénix annonce toujours ses prochaines flammes et seule la lumière ne connaît pas son ombre.
Bois Rouge
Et le temps s’arrête à l’entrée du chemin raviné qui traverse les bois sarthois.
Toutefois, à l’aide de la petite clé, de la pendule arrêtée on a fait remonter les poids
Et remettant les aiguilles à leurs places, Chronos, par le carillon, crie victoire.
Quelle joie de retrouver là plaisirs si simples : caresser le bois de la vieille table et des bancs tordus,
entendre crépiter la pomme de pain dans l’âtre assoupi, sentir la terre humide des talus
sur lesquels autrefois maintes cabanes bâties devenaient des mondes aujourd’hui perdus.
Étendant le soir ma couche au pied du foyer, je veillais, ou plutôt me réveillais, régulièrement
afin que jamais il ne s’éteigne. Et au tout petit matin, deux chevreuils, sautant
comme des cabris, m’offraient le spectacle de leurs jeux insouciants.
Sédentaire et nomade, quelle étrange tension existe entre des racines qui, d’une terre,
ont su prélever le meilleur ; et le pollen de la fleur qui ne rêve qu’à parcourir la Terre,
sous les pattes d’abeilles ou par le hasard de la brise printanière.
Partir retrouver dans les musiques d’orient, de la bombarde le criard son,
ou exprimer dans les danses d’ailleurs toutes les passions
qui dévorent le coeur et que le rythme langoureux ou frénétique
exprime, expire, dans un mouvement cathartique.
Oui la vie doit être une danse et même la poésie n’en est qu’un reflet pâle.
Danser, écrire, rêver au clair de lune, sous les étoiles.
Et puis repartir à nouveau se disant avec Kessel que l’idéal,
le plus magnifique présent de Dieu est un beau cheval.
Avignon
Donnez-moi une selle et une voile,
J’écrirai des poèmes, vagabond.
Je chanterai la lune et les étoiles.
Si vient la faim, je danserai sur les ponts.
Si rôde la mort, je prierai Notre-Dame,
Avec foi, bec et ongles comme Avignon.