Il ne demandait plus la foi naïve et totale du petit enfant, mais la foi supérieure de l’intellectuel, s’élevant au-dessus des rites et des symboles, travaillant au plus grand bonheur possible de l’humanité, basé sur son besoin de certitude.
Et, à mesure qu’il parlait ainsi, très doucement, avec une onction parfaite, le Vatican apparaissaient comme un pays gardé par des dragons jaloux et traîtres, un pays où l’on ne devait point franchir une porte, risquer un pas, hasarder un membre, sans s’être soigneusement assuré d’avance qu’on n’y laisserait pas le corps entier.
Et l’on se demande si Rome a jamais été chrétienne, dans cette perversion dont le vieux sol romain a presque tout de suite entaché la doctrine de Jésus, cette volonté de domination, ce désir de la gloire terrestre qui ont fait le triomphe du catholicisme, au mépris des humbles et des purs, des fraternels et des simples du christianisme primitif.
C’était Rome sûrement la terre de Rome, cette terre où l’orgueil et la domination poussaient comme l’herbe des champs, qui avait fait de l’humble christianisme primitif le catholicisme victorieux, allié aux puissants et aux riches, machine géante de gouvernement, dressée pour la conquête des peuples.
Comme il revenait par le bois, Pierre eut une autre surprise. Il tomba sur une Grotte de Lourdes, imitée en petit, reproduite à l’aide de rochers et de blocs de ciment. Et son émotion fut telle, qu’il ne put la cacher à son compagnon.
« C’est donc vrai ?… On me l’avait dit, mais je m’imaginais le Saint-Père plus intellectuel, dégagé de ces superstitions basses.
Sans doute, l’Eglise avait des besoins matériels, elle ne pouvait vivre sans argent, c’était une pensée de prudence et de haute politique que de lui gagner un trésor pour lui permettre de combattre victorieusement ses adversaires. Mais comme cela était blessant, salissant, et comme elle descendait de sa royauté divine pour n’être plus qu’un parti, une vaste association internationale, organisée dans le but de conquérir et de posséder le monde !
Ah ! le pauvre, le triste peuple resté enfant, maintenu dans une ignorance, dans une crédulité de sauvages par des siècles de théocratie, si accoutumé à la nuit de son intelligence, aux souffrances de son corps, qu’il reste quand même aujourd’hui en dehors du réveil social, simplement heureux si on le laisse jouir à l’aise de son orgueil, de sa paresse et de son soleil !
Ah ! ces Dominicains, il n’avait jamais songé à eux, sans un respect mêlé d’un peu d’effroi. Pendant des siècles, quels vigoureux soutiens ils s’étaient montrés de l’idée autoritaire et théocratique ! L’Eglise leur avait dû sa plus solide autorité, ils étaient les soldats glorieux de sa victoire. Tandis que saint François conquérait pour Rome les âmes des plus humbles, saint Dominique lui soumettait les âmes des intelligents et des puissants, toutes les âmes supérieures. Et cela passionnément, dans une flamme de foi et de volonté admirables, par tous les moyens d’action possibles, par la prédication, par le livre, par la pression policière et judiciaire. S’il ne créa pas l’Inquisition, il l’utilisa, son coeur de douceur et de fraternité combattit le schisme dans le sang et le feu.
Dès lors, l’expérience semblait faite, Dieu dans sa lutte intransigeante avec le péché allait être vaincu, car il était désormais certain que l’ancienne volonté de supprimer la nature, de tuer dans l’homme l’homme même, avec ses appétits, ses passions, son coeur et son sang, ne pouvait aboutir qu’à une défaite désastreuse où l’Eglise se trouvait à la veille de sombrer ; et ce sont les Jésuites qui viennent la tirer d’un tel péril, qui la rendent à la vie conquérante, en décidant que c’est elle maintenant qui doit aller au monde, puisque le monde semble ne plus vouloir aller à elle. Tout est là, ils déclarent qu’il est avec le ciel des arrangements, ils se plient aux moeurs, aux préjugés, aux vices même, ils sont souriants, condescendants, sans nul rigorisme, d’une diplomatie aimable, prête à tourner les pires abominations à la plus grande gloire de Dieu.
Il était prêtre italien, grand pontife, superstitieux et despotique, lié par la tradition, soumis aux influences de race et de milieu, cédant au besoin d’argent, aux nécessités politiques ; sans parler de son orgueil immense, la certitude d’être le Dieu auquel on doit obéir, le seul pouvoir légitime et raisonnable sur la terre.
Non ! le catholicisme ne pouvait se renouveler, non ! il ne pouvait revenir à l’esprit du christianisme primitif, non ! il ne pouvait être la religion de la démocratie, la foi nouvelle qui sauverait les vieilles sociétés croulantes, en danger de mort.
Lire Zola permet de comprendre comment à la fin du XIXe siècle l’anticléricalisme a pu être aussi virulent. On constate d’ailleurs qu’en ce début de XXIe siècle, l’opinion reste marquée par sa pensée. Il est assez mordant d’apprendre par la préface que le chef du naturalisme n’a rencontré aucun ecclésiastique lors de son voyage préparatoire à Rome. Il a alors dessiné une fresque pleine de préjugés (le portrait des dominicains et des jésuites est à lire !) sur l’Eglise poussant jusqu’à présenter Léon XIII sous les traits qui arrangeait sa thèse, cette dernière se résumant au remplacement du catholicisme par le socialisme et le scientisme. Enfin, cela m’a amusé de voir que Zola n’était pas moins déterministe, voire raciste, que la majorité de ses contemporains avec notamment cette citation à la fin : « le pullulement menaçant de la race jaune. » Bref, un mélange de Dan Brown (pour les élucubrations), de Michel Onfray (pour l’anti-catholicisme et la logorrhée) et de Laurent Alexandre (pour la religion de la science et l’élitisme annonçant l’eugénisme et le transhumanisme).
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