“Et moi qui croyais à mon labeur comme un bien-pensant, se dit François. Moi qui fonçais tête baissée au risque de tomber dans l’activisme épuisant, avec l’unique ressort de la générosité et ce désir fou d’être exemplaire au nom de Dieu. Finalement, je me suis aperçu qu’on ne construisait pas vraiment son royaume ; mais qu’on le recevait comme un don à faire fructifier grâce à la spiritualité.”
Pour l’homme de la rizière, le savoir consiste en la maîtrise de l’éthique morale, indispensable à la prospérité collective de la communauté. C’est en connaissant “le faux et le vrai”, “les mérites et les démérites” qu’il se concilie les êtres invisibles qui président aux destinées des humains. Dans cette société, ce n’est donc pas au lettré qu’est due la vénération, mais au “saint” : à l’ermite, personnage central des contes khmers, au bonze ou au responsable laïc de la pagode. Pour l’homme de la ville, au contraire, sont efficaces les diplômes qui ouvrent les portes de l’administration et le savoir technique qui permet de maîtriser le monde selon le code occidental. L’éthique passe au second plan. Elle peut même disparaître sous le coup des nécessités !
Le seul moyen de trouver un emploi était alors de se faire embaucher par les organisations internationales, omniprésentes sur la frontière. Ainsi, pour des centaines de milliers de Khmers, le verbe travailler n’a plus désigné le repiquage du riz, la moisson, la pêche ou la construction, mais uniquement le fait d’être salarié d’une ONG, de “pomper” le fric venu d’un pays tiers. Des torrents d’aides ont réduit les hommes à l’état de perpétuels mendiants et ont anesthésié chez eux la volonté de s’en sortir, l’esprit d’initiative.
