Si quelqu’un se livre lui-même volontairement à la simplicité et à l’innocence, il ne donne plus ni temps ni lieu au malin pour l’attaquer.


Celui qui, dans un entretien, veut imposer ses propres idées, même si elles sont justes, qu’il sache qu’il est malade de la maladie du diable. Si c’est seulement avec ses égaux qu’il se comporte ainsi, les réprimandes de ses anciens pourront peut-être le guérir. Mais s’il agit ainsi même avec de plus anciens et de plus sages que lui, alors son mal est humainement incurable.


Sois attentif à toi-même quand tu es avec tes frères, et n’affecte jamais de paraître meilleur qu’eux en quoi que ce soit. Si tu le fais, tu causeras en effet un double mal : eux seront blessés par ton zèle faux et hypocrite, et toi, tu ne retireras de toute ta conduite que de l’arrogance.


J’ai vu un disciple sans expérience vanter devant certaines personnes les traits de vertu de son maître. Mais alors qu’il pensait récolter de la gloire en moissonnant le blé d’autrui, il n’y gagna que de la confusion, car tous lui dirent : « Mais comment un arbre excellent a-t-il pu porter un rameau stérile ? »


Quand les paresseux sentent que les ordres reçus sont pénibles, ils se mettent à juger la prière préférable ; mais s’ils les trouvent légers, ils fuient la prière comme le fou.


Les propos blessants sont dans le monde la cause de nombreuses divisions. Et dans les communautés, l’intempérance de la bouche est la source de toutes les chutes et de tous les dégoûts pour la vie monastique. Si tu domines cette maîtresse, toute résidence te procurera l’impassibilité, mais si elle te domine, partout en dehors du tombeau tu seras en danger.


Tant qu’une plaie est récente et vive, elle est facile à guérir ; mais les plaies anciennes, longtemps négligées et non traitées, sont difficiles à soigner. Elles nécessitent de longs efforts, et il faut même y appliquer le fer et le feu. Beaucoup, avec le temps, deviennent incurables ; cependant, tout est possible à Dieu.


Si notre conscience cesse de nous faire des reproches, prenons bien garde que ce ne soit, non à cause de notre pureté, mais parce que nous sommes plongés dans le mal.


Rien n’égale, ni ne surpasse les miséricordes de Dieu. C’est pourquoi celui qui désespère est son propre meurtrier.


Si tu possèdes l’affliction, retiens-la de toutes tes forces, car elle se perd facilement tant qu’elle n’est pas solidement enracinée : le tumulte et les soucis matériels, les plaisirs et surtout le bavardage et la plaisanterie la font disparaître comme le feu fait fondre la cire.


Dieu, mes amis, ne demande ni ne désire que l’homme s’afflige à cause de la douleur de son coeur ; il préfère plutôt qu’il se réjouisse et rie en son âme, à cause de l’amour qu’il éprouve pour lui.


Les démons nous contraignent soit à pécher, soit, si nous ne péchons pas, à juger ceux qui pèchent, afin de souiller notre innocence par ce jugement.


Juger les autres, c’est ne pas avoir honte d’usurper une prérogative divine ; les condamner, c’est ruiner notre propre âme.


Il est difficile d’empêcher que ne se répande une eau que rien ne retient ; il est plus difficile encore de dompter une longue intempérance.


Quand nous prions, l’acédie nous rappelle quelque affaire indispensable ; et, déraisonnable elle-même, elle met tout en oeuvre pour nous tirer hors de la prière par de bonnes raisons, comme par un licou.


Ceux qui sont enclins à la sensualité semblent souvent compatissants, miséricordieux et portés à la componction ; tandis que ceux qui ont du zèle pour la chasteté ne possèdent pas ces dispositions au même degré.


Vous tous qui avez résolu de garder la pureté, écoutez un autre artifice et une autre industrie de ce fourbe, et prenez-y bien garde. Quelqu’un qui avait l’expérience de cette ruse m’a rapporté que très souvent le démon de la luxure se dissimule complètement, et tandis que le moine est assis et converse avec des femmes, il lui inspire de grands sentiments de piété et peut-être même des torrents de larmes, et lui suggère de les instruire en leur parlant du souvenir de la mort, du jugement et de la chasteté. Alors les malheureuses, trompées par ses discours et sa fausse piété, accourent vers ce loup comme vers un berger, et quand les rapports ont mûri en familiarité, l’infortuné est entraîné dans la chute.


Le Seigneur, dans sa bonté, a montré sa grande providence à notre égard en cela qu’il a donné aux femmes la pudeur pour retenir leur hardiesse comme par un frein. Car si la femme se mettait à courir après l’homme, aucune chair ne serait sauvée.


Le commencement de l’amour de l’argent, c’est le prétexte de l’aumône ; et sa consommation, la haine du pauvre. Tant qu’il s’agit d’amasser, il se montre miséricordieux ; mais quand l’argent est là, il referme ses mains.


Le soleil brille pour tous également, et la vaine gloire trouve à se réjouir de toutes nos activités. Par exemple, je tire vanité de mon jeûne, puis, quand je le suspends pour ne pas être remarqué, je me glorifie de ma prudence. Quand je porte de beaux vêtements, je suis vaincu par la vaine gloire, et quand j’en prends de pauvres, j’en tire encore vanité. Quand je parle je suis vaincu par elle, et quand je garde le silence, elle me domine encore. Il en est d’elle comme de ces pièges à trois pointes ; de quelque façon que tu la jettes, elle tient toujours dressée l’une de ses pointes.


Un esprit élevé supporte courageusement et joyeusement l’injure ; mais il faut être un saint et un bienheureux pour passer sans dommage à travers les louanges.


La douceur est le soutien de la patience, la porte, ou plutôt la mère, de la charité, le fondement de la discrétion ; il est écrit en effet : « Le Seigneur enseigne aux doux ses voies. » (Ps 24, 9). Elle procure le pardon des péchés, elle donne la confiance dans la prière, elle est la demeure de l’Esprit Saint : « Sur qui jetterai-je les yeux, sinon sur celui qui est doux et paisible ? » (Is 66, 2).


Sache, ô ami, que les vallées « produisent en abondance le blé » (Ps 64, 14) et les fruits spirituels. La vallée, c’est l’âme qui reste humble au milieu des montagnes, c’est-à-dire des vertus spirituelles, et demeure sans orgueil et inébranlable.


Telle est la nature du citronnier que, lorsque ses branches poussent vers le haut, il reste stérile ; mais plus ses branches s’inclinent vers le sol, plus il porte de fruits. Celui qui a quelque intelligence comprendra.


L’humilité est un tourbillon céleste qui peut aspirer l’âme de l’abîme du péché et l’élever jusqu’au ciel.


Recherchons quels animaux et quels oiseaux s’efforcent plus particulièrement de nous nuire au temps des semailles, au temps où le blé est en herbe et au temps de la moisson, afin de poser nos pièges en conséquence.


Ta prière te fera connaître l’état de ton âme. Les théologiens appellent en effet la prière le miroir du moine.


Si le visage d’un être aimé, produit dans tout notre être un changement manifeste et nous rend joyeux, gais et insouciants, que ne fera pas la face du Seigneur dans une âme pure quand il viendra invisiblement y demeurer ?