Il est si facile d’élever ses vices à la hauteur des vertus et de se rechercher soi-même sous le couvert de buts nobles et désintéressés. Et cela avec la plus belle inconscience. Mais vienne une occasion où l’homme qui se ment ainsi à lui-même est contredit ou contrarié, alors le masque tombe. Il se trouble et s’irrite. Derrière l’homme « spirituel » qui n’était qu’un personnage d’emprunt, apparaît l’homme « charnel » : le vivant, tous ongles dehors, qui se défend. Ce trouble et cette agressivité révèlent que l’homme est mené par d’autres profondeurs que celles de l’esprit du Seigneur.


Mais le travail n’est pas tout, il ne résout pas tout. Il peut même devenir un obstacle redoutable à la vraie liberté de l’homme. Il le devient chaque fois que l’homme se laisse accaparer par son œuvre au point d’oublier d’adorer le Dieu vivant et vrai. Aussi il nous faut veiller jalousement à ne pas laisser s’éteindre en nous l’esprit d’oraison. Cela est plus important que tout.

L’homme n’est grand que lorsqu’il s’élève au-dessus de son œuvre pour ne plus voir que Dieu. Alors seulement il atteint toute sa taille. Mais cela est difficile, très difficile.

Cette œuvre qu’il a accomplie, dans la mesure où il s’y attache, devient pour lui le centre du monde ; elle le met dans un état d’indisponibilité radicale. Il faudra une effraction pour l’en arracher. Grâce à Dieu, une telle effraction peut se produire. Mais les moyens providentiels mis alors en œuvre sont redoutables. Ce sont l’incompréhension, la contradiction, la souffrance, l’échec. Et parfois jusqu’au péché lui-même que Dieu permet. La vie de foi connaît alors sa crise la plus profonde, la plus décisive aussi. Cette crise est inévitable. Elle se présente tôt ou tard et dans tous les états de vie. L’homme s’est consacré à fond à son œuvre ; et il a cru rendre gloire à Dieu par sa générosité. Et voici que tout à coup Dieu semble le laisser à lui-même, ne pas s’intéresser à ce qu’il fait. Bien plus, Dieu semble lui demander de renoncer à son œuvre, d’abandonner ce à quoi il s’est dévoué corps et âme durant tant d’années dans la joie et dans la peine.

L’homme n’est pas sauvé par ses œuvres si bonnes soient-elles. Il faut encore devenir lui-même l’œuvre de Dieu.


Il nous faut apprendre à voir le mal et la faute comme Dieu les voit. Cela précisément est difficile. Car, là où nous voyons naturellement une faute à condamner et à punir, Dieu, lui, voit tout d’abord une détresse à secourir. Le Tout-Puissant est aussi le plus doux des êtres, le plus patient. En Dieu, il n’y a pas la moindre trace de ressentiment.


Il nous faut aller vers les hommes. La tâche est délicate. Le monde des hommes est un immense champ de lutte pour la richesse et la puissance. Et trop de souffrances et d’atrocités leur cachent le visage de Dieu. Il ne faut surtout pas qu’en allant vers eux nous leur apparaissions comme une nouvelle espèce de compétiteurs. Nous devons être au milieu d’eux les témoins pacifiés du Tout-Puissant, des hommes sans convoitises et sans mépris, capables de devenir réellement leurs amis. C’est notre amitié qu’ils attendent, une amitié qui leur fasse sentir qu’ils sont aimés de Dieu et sauvés en Jésus-Christ.