C’est beau une salle de classe déserte : c’est un désert peuplé,
Et le soir, lorsque je m’y aventure – avec le secret désir de ne pas le quitter –,
Je suis rempli d’un sentiment de reconnaissance
Et d’un zèle stimulé
Pour cette activité de service
Qu’on appelle l’éducation – peu importe le mot, d’ailleurs ; ce qui compte, c’est le fait ; et le fait emporte celui qui en est l’agent comme une vague…
Elle l’emporte. Elle l’élève. Elle le dépose
Sur le sable, le soir, où s’écrivent en silence une multitude de petits pas : ils seront le pain du dormeur lorsque celui-ci, enfoui dans le sommeil, goûtera les fruits de sa journée
Avant de reprendre le chemin de la mer où bat chaque jour le flot de l’activité humaine,
S’oubliant dans le service, n’existant que par l’autre, dans l’autre
Au service de l’autre
Où il puise son bonheur.
La climatologie de l’école est spécifique. Sa météo, capricieuse.
Imprévisibles orages. Embellies défiant tout calcul. Coups de sonde donnés en vain. Abysses : sous chaque mot, chaque geste. Dans chaque regard.
Et en même temps on s’y sent bien. Impression de marcher enfin sur la terre ferme. Dans un espace saturé de mille petits signaux, l’oeil fouille le territoire désordonné de la cour à la recherche des enfants qu’il connaît, et lorsqu’il en repère un, il se sent soudain rasséréné.
C’est une affaire d’entente, d’habitude, de complicité. D’accommodement à la nature sans cesse changeante de l’autre et à ses brusques sautes d’humeur – mais tramées d’une chanson sourde, continue, d’un sous-texte dispensateur d’assurance, et qui, dans sa durée même, forge une conviction : « Ici, il ne peut rien m’arriver. » Comprendre : rien de dommageable, de préjudiciable. Rien de mauvais.
C’est à cela au fond que rime notre traversée de l’école. A cette certitude heureuse : non pas celle d’un bonheur de surface, pareil au ressenti d’une brise, agréable sur la peau, mais celle d’un bonheur qui nous constitue, et même, pour certains, nous reconstitue : car il substitue chaque jour des fondations nouvelles aux anciennes, toutes vermoulues. Et il le fait avec la prodigalité d’un visage d’enfant qui ne compte pas ses dons, et n’en attend pas de rémunération. Un visage – pour reprendre une définition balzacienne du grand amour – auprès duquel notre crédit est illimité, quelque vorace que soit notre frénésie dépensière.